May 2016 /254

Champignons contre moustiques

Combattre le moustique vecteur de la filariose grâce aux champignons Aspergillus.

Telle est l’hypothèse en cours de validation à Gembloux.

Utiliser des champignons pour venir à bout des moustiques vecteurs de maladies graves et se passer ainsi des insecticides chimiques : l’idée n’est pas tout à fait neuve. On sait déjà, travaux scientifiques à l’appui, que 700 à 800 espèces de champignons sont susceptibles d’infecter et de tuer insectes et acariens dans le monde. De là à connaître les mécanismes exacts en action et, surtout, à pouvoir les maîtriser, il y a un pas.

Car la lutte dite “microbiologique” est tout sauf un jeu d’apprentis-sorciers. « Son défi, commente Thomas Bawin, doctorant au laboratoire d’entomologie fonctionnelle et évolutive à Gembloux Agro-Bio Tech (ULg), c’est de pouvoir isoler un agent – bactérie, virus, champignon – qui soit parfaitement spécifique à l’espèce ou au groupe d’espèces ciblée(s) alors que les conditions de pulvérisation peuvent être très variables (température, humidité, etc.). Si on n’y arrive pas, on risque de voir cet agent insecticide s’en prendre à d’autres hôtes de l’écosystème concerné, ce qui est potentiellement dramatique. »

AspergillusDe là, l’intérêt des travaux du jeune chercheur qui viennent d’être publiés dans Fungal Biology. Thomas Bawin s’est intéressé aux Aspergillus, une famille de champignons saprophytes se présentant sous la forme de longs filaments. On en trouve à peu près partout dans le monde, depuis les matières organiques qui se décomposent dans la nature jusqu’aux aliments oubliés qui pourrissent au fond de nos frigidaires. Certaines de ces espèces peuvent développer un comportement pathogène sur les insectes grâce à leurs interactions étroites avec ceux-ci dans l’environnement.

UN MOUSTIQUE REDOUTABLE

Dans la foulée des travaux d’un chercheur sénégalais du nom de Fawrou Seye, Thomas Bawin a d’abord démontré que deux souches d’Aspergillus (A. clavatus et A. flavus) étaient faciles à cultiver et à produire sur un substrat artificiel – plus particulièrement leurs spores, puisque ce sont elles qui développent le réel pouvoir insecticide – et qu’elles exerçaient un effet insecticide sur les larves de moustiques. L’espèce choisie pour la démonstration est tout sauf anodine : Culex quinquefasciatus. Abondant dans les zones tropicales et subtropicales, ce moustique est vecteur de maladies humaines aussi redoutables que la filariose lymphatique. Transportés par les moustiques adultes femelles, de minuscules vers parasites (nématodes) sont injectés dans le sang des victimes qui finissent par être gagnées par l’atrophie des membres.

Quelque 120 millions de personnes dans le monde sont aujourd’hui affectées par la filariose.

PHÉNOMÈNES AQUATIQUES

Grâce à deux techniques de microscopie électronique, le biologiste a mis à jour le mécanisme par lequel ces champignons viennent à bout du moustique. Infectées en laboratoire avec Aspergillus clavatus (qui s’est montré le plus virulent des deux), des larves de moustiques ont été minutieusement observées, plus particulièrement leur réaction à la suite du cheminement progressif des spores dans le corps. Thomas Bawin a constaté que ces dernières finissaient par adhérer aux pièces buccales pour être ensuite ingérées.

« Il faut bien réaliser que ces spores sont en réalité des cellules en dormance. Petit à petit, heure après heure, elles deviennent plus actives, ce qui se traduit par la sécrétion de composés toxiques capables d’endommager l’épithélium digestif et les tissus musculaires de la larve », explicite le chercheur. Quel composé toxique, exactement ? Mystère à ce stade... Thomas Bawin espère l’identifier dans les mois qui viennent. « Il s’agit probablement d’un cocktail d’enzymes et de métabolites, mais ce n’est qu’une hypothèse. » C’est seulement après cette identification, et après s’être assurée qu’Aspergillus est inoffensif pour le zooplancton et d’autres animaux, que son utilisation commerciale dans la lutte biologique pourra être envisagée.


Philippe Lamotte
Sur le m�me sujet :
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants