Juin 2016 /255

Et si "Brexit" il y avait...

Quête de certitudes dans un océan d’incertitudes

Depuis l’annonce par le premier ministre David Cameron de soumettre à référendum, le 23 juin prochain, le maintien (ou non) du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne (UE), les déclarations se sont multipliées sur les conséquences désastreuses pour les uns ou bénéfiques pour les autres de cet éventuel “Brexit”, soit le retrait du pays de l’UE.

Ces déclarations appuient leurs argumentations sur des études, des analyses de qualité très variables mais dont la profusion exponentielle a pour conséquence d’attiser la publication de contre-analyses, amplifiant plus encore l’effet d’avalanche.

La cause de cette profusion est notamment à trouver dans la formulation confuse de la question posée au citoyen britannique. En effet, comment convient-il de comprendre l’interrogation suivante : “Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’Union européenne ou quitter l’Union européenne ?”.

Tout d’abord, il faut souligner que la question telle que formulée ne reflète pas ce qui est demandé. En effet, il s’agit plutôt de savoir si “le Royaume-Uni doit rester dans l’Union européenne aux conditions négociées par le premier ministre Cameron en février ou s’il doit quitter l’Union européenne”. Si cette nuance est pour moi importante, c’est bien parce que ces quelques mots traduisent le mode normal de mutation de l’Union. En effet, depuis sa création, son évolution institutionnelle a toujours été le résultat de négociations parfois longues entre États membres dont le résultat était soumis à l’approbation de leurs assemblées parlementaires et, parfois, par référendum, de leurs populations. Si le résultat des votes était positif, l’avancée institutionnelle était acquise ; à l’inverse, le projet était abandonné et l’Union continue de fonctionner selon les règles non modifiées. Ce fut le cas en 2006 avec le rejet par référendum du traité constitutionnel par la France et les Pays-Bas.

Dans le cas du référendum du 23 juin prochain, la situation est fondamentalement différente dans la mesure où les électeurs britanniques n’ont pas le choix entre deux certitudes (maintien du statu quo ou nouvelle relation définie sur base de l’accord négocié). Par contre, ils auront le choix entre une certitude (le maintien au sein de l’Union aux conditions nouvelles) ou une incertitude (la sortie de l’UE selon les règles qui restent encore à définir). Rien n’est dit ou ne laisse présumer sur ce que pourraient être les conditions de cette sortie.

Formellement, le traité sur l’Union européenne prévoit, en son article 50, les principes généraux de procédure mais n’en précise pas les modalités qui doivent être négociées avec l’État demandeur et obtenir l’approbation du Parlement européen. La sortie de l’UE est toutefois pleinement acquise au terme de deux ans, même à défaut d’accord.

Si ce divorce peut être obtenu au bout de ce laps de temps, sa concrétisation risque de prendre bien plus longtemps. Il suffit de penser au travail colossal, sans doute sélectif, d’appropriation et de mutation du droit de l’Union en droit britannique. Il y a, en effet, de nombreux domaines comme celui de la protection des consommateurs où les États membres ne légifèrent plus individuellement depuis longtemps et où l’UE a substitué un arsenal législatif complet.

Dans l’hypothèse d’une “sortie” britannique, de nombreuses questions très concrètes n’ont pas encore obtenu de réponses. Qu’adviendra-t-il des fonctionnaires européens britanniques ? Que deviendront alors les agences et organes européens établis au Royaume-Uni (Agence européenne des médicaments, Collège européen de défense) ou auxquels le pays participe (Agence spatiale européenne, ITER, etc.)? Quelles seront les obligations britanniques dans le cadre des accords de partenariat et/ou de coopération avec les pays tiers (accords de Cotonou, accords de libre-échange entre l’UE et la Corée, le Japon, le Canada...) ? Une réflexion identique devrait être conduite pour certains traités et régimes internationaux qui sont pour l’instant signés et ratifiés pour l’Union.

Au fil des décennies, l’Europe a multiplié les formes de coopération et d’association entre États et constitue aujourd’hui un ensemble protéiforme. L’Union européenne a été à l’initiative de nombre d’entre elles et en intègre plusieurs. L’Espace économique européen pour l’économie, le processus de Bologne pour l’enseignement, le système Schengen pour la libre circulation des personnes sont quelques exemples de cette diversité auxquels participent certains États non membres de l’UE. Il semblerait difficilement concevable que le Royaume-Uni renonce à l’ensemble de ces coopérations instituées entre États auxquelles il est parfois partie mais qui sont partiellement liées à son statut d’État membre de l’UE. Dans l’hypothèse où il souhaiterait maintenir sa participation, pourrait-il le demander ou devrait-il introduire sa candidature comme tout État tiers ? Par ailleurs, les États membres seraient-ils prêts à l’accueillir dans le cadre de coopérations plus restreintes ?

MichelQuentinCes incertitudes renforcent le discours de ceux qui plaident pour la sortie dans la mesure où il leur est aisé de déterminer, selon leur perception, ce que pourrait être “l’après”. Ils oublient toutefois de préciser que ces nouvelles relations entre l’Union et Londres devront encore être négociées et obtenir l’assentiment des 27 États membres. Ces derniers seront sans doute nettement moins enclins à apprécier l’ensemble de ces requêtes sans une quelconque contrepartie.

Si le “non” l’emporte le 23 juin, il fera de nombreux déçus et pas uniquement parmi les partisans du “oui”. En effet, une fois la griserie de la victoire passée, les vainqueurs risquent de prendre brutalement conscience qu’ils n’ont guère obtenu plus qu’un slogan et que l’essentiel restera encore à négocier.

Pr Quentin Michel
European Studies Unit, faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie

Sur le m�me sujet :
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants