Septembre 2016 /256

Sans enfant

L’opinion de Brigitte Liébecq

“Ne pas vouloir d’enfant est jugé anormal par un homme sur trois et une femme sur cinq”*.

À l’heure où de nouveaux modèles de vie s’imposent à une société où la maternité a été sanctifiée pendant des siècles, les femmes, quand elles n’ont pas d’enfant, continuent à être régulièrement taxées d’anormales, d’égoïstes et/ou de matérialistes. Ce stéréotype, qui finit par définir dans l’imaginaire commun ce qui est légitime pour toutes les femmes, ne distingue pas celles qui “n’ont pas décidé d’avoir des enfants” (les “childfree”, vivant principalement en Occident) de “celles qui n’ont pas décidé de ne pas en avoir” (infertilité de soi ou du/de la partenaire, mort d’enfant, refus du/de la partenaire, etc., – les “childless’” que l’on rencontre dans le monde entier).

En quoi un seul modèle serait-il valable pour les 7 milliards d’humains que nous sommes ?

Angela Davis, Angela Merkel, Anna Freud, Camille Claudel, Colette Braeckman, Édith Cavell, Frida Kahlo, Hannah Arendt, Hildegard von Bingen, Isabelle Stengers, Jane Austen, Liza Minnelli, Louise Michel, Marguerite Yourcenar, Maria Callas, Rosa Luxembourg, Rosa Parks, Simone de Beauvoir, Talisma Nasreen, Virginia Woolf, ainsi que, plus anonymes, 25,6 millions de Nord-Américaines, 3 millions d’Allemandes, 1,8 million de Russes, 13,5% de Françaises (toutes à la fin de leur période reproductive) et près de 60 % des Japonaises de 30 ans... La liste est longue de ces nombreuses femmes fécondes en dehors de la biologie (et encore plus de ces hommes, c’est moins souvent noté) qui portent des projets utiles à la marche du monde et à la préservation de la vie sur Terre et font depuis toujours naître vocations ou avancées de pensée. En quoi ces femmes seraient-elles “anormales, égoïstes ou matérialistes” ?

Comment considérer la complexité et la complémentarité de toutes les expériences de vie, au-delà du bien et du mal, sans imposer de modèles ni enfermer les un-e-s et les autres dans des camps adverses ? Comment saluer cette complexité, cette pluralité tant honnie par les conservatismes de tout bord ? Les humains sont diversement féconds, porteurs d’expériences de vie singulières, à l’opposé de ce que les normes, bras armés de la tradition, des églises et de nombreux États imprégnés par un conformisme archaïque, tentent trop souvent de niveler.

LiebecqBrigitteDe ces femmes “sans enfant”, seul un tiers serait childfree. Une affirmation à prendre au conditionnel car cet état de fait qui touche pourtant à la sociologie, à la démographie, à l’économie, à l’anthropologie, au féminisme, aux religions, au journalisme et à la politique, n’est pas ou si peu objet d’analyse. La survie du monde étant une affaire collective, n’est-il pas étonnant que l’expérience particulière de ces femmes (et de ces hommes) soit si peu évoquée en dehors des cabinets de psy ou de manière anonyme sur les blogs ?

Brigitte Liébecq
philologie germanique (1975)
membre du FER ULg

* Résultat d’une enquête publiée dans Le Soir du 9 décembre 2015.


Le FER ULg organise une journée d’étude intitulée “Ne pas avoir d’enfant : mythes, réalités, questionnements”, le vendredi 14 octobre à 9h30, à l’ancien Institut de physiologie, place Delcourt, 4020 Liège.

Voir le programme sur http://web.philo.ulg.ac.be/ferulg

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants