September 2016 /256

L'autre en cage

Exposition "Zoos humains" à la Cité Miroir

ZoosHumains

En costume traditionnel, dénudés, en cage ou plantés dans des décors pittoresques, ils ont drainé les foules. À partir du milieu du XIXe siècle et jusqu’au milieu du XXe, les mêmes qui fournissaient les zoos en animaux exotiques, C. Hagenbeck et autre P. T. Barnum organisèrent l’exhibition humaine en une industrie euro-américaine florissante. « C’est un phénomène qui, dans son ampleur, est étroitement lié à la propagande coloniale », explique Lucienne Strivay, anthropologue. On estime que ces “spectacles” attirèrent 1,4 milliard de visiteurs et impliquèrent quelque 30 000 “figurants”, importés des quatre coins du monde et exhibés dans les jardins d’acclimatation, les foires, les zoos, les expositions universelles, les cabarets et les cirques.

L'AUTRE EN CAGE

À partir du 17 septembre, la Cité Miroir propose une plongée dans cet épisode oublié de l’histoire à travers l’exposition “Zoos humains. L’invention du sauvage”, présentée pour la première fois au Musée du quai Branly en 2012 et qui sera enrichie à cette occasion de pièces issues du Musée de Tervuren aujourd’hui enfin marqué par une stèle commémorative. Car la Belgique, sous la houlette de Léopold II, joua pleinement son triste rôle dans cette entreprise. On se rappellera ainsi qu’en 1897, lors de l’Exposition universelle de Bruxelles, sept Congolais parqués dans un village reconstitué décédèrent des suites du froid et de la pluie. Ils seront enterrés dans une fosse commune sur le site de Tervuren. Huit ans plus tard, c’est l’Exposition universelle de Liège qui donne une nouvelle occasion aux nations européennes de mettre en scène leurs colonies. « C’était un spectacle bien sûr. Il fallait distraire. Mais il fallait aussi convaincre de la nécessité d’aller évangéliser et civiliser ces gens. C’était un droit mais aussi une obligation ! On les présentait comme des “petits enfants” à qui il fallait apporter la religion et l’enseignement pour qu’ils deviennent comme nous. Les zoos humains servaient d’illustration à un évolutionnisme social qui faisait de l’Européen la forme la plus accomplie de l’évolution – surtout si c’était un mâle », souligne Lucienne Strivay.

ZoosHumains-2Émanation du paternalisme occidental, les zoos humains apparaissent avec le recul comme l’un des principaux vecteurs du racisme et de son enracinement au sein de nos sociétés. Car c’est au travers de cette relation voyeuriste que les Européens, qui voyageaient alors très peu, furent mis pour la première fois en contact avec ces visages inconnus. Des conditions propices à l’installation de tous les stéréotypes. « Les Hottentots, par exemple, n’étaient pas considérés comme des humains parce qu’ils avaient des rituels tels que leur apparence s’en trouvait modifiée, notamment avec l’élongation des petites lèvres chez les femmes ou l’ablation d’un testicule chez les hommes. Sans oublier leur langue à clic : on prétendait qu’ils parlaient comme des dindons », rappelle Lucienne Strivay. Il en va ainsi de Saartjie Baartman, alias “la Vénus hottentote”, à laquelle le réalisateur Abdellatif Kechiche a consacré sa Vénus noire, qui sera projetée en marge de l’exposition.

LA SCIENCE COMPLICE

StrivayLucienneSpectacle de masse et distraction du bourgeois ordinaire, les zoos humains attirèrent aussi les scientifiques, qui se frottaient les mains devant cet exceptionnel matériau. « Les ethnologues, qui étaient au service de la politique coloniale, prenaient des mesures sur les indigènes et les photographiaient. En s’approchant de la matérialité avec l’anthropologie physique, on était convaincu de faire de la science alors qu’on posait les bases d’une hiérarchie raciale hors tout contexte », explique Lucienne Strivay. Tant de bonne conscience impose de se demander si les zoos humains ne persistent pas, d’une manière ou d’une autre, dans les préjugés de nos sociétés contemporaines. « Le rapprochement avec les centres fermés ne me semble pas illégitime, même si, dans ce cas, on cache au lieu de montrer et on vise l’expulsion plutôt que l’importation pour un temps limité. Mais on est bien en présence de l’agencement des mêmes stigmates et le pouvoir de déplacement reste dans les mêmes mains », avance Lucienne Strivay. Et qu’en est-il, à l’autre bout du spectre, de ce tourisme “en terre inconnue” qui séduit l’Occidental en mal d’authenticité ? « Qu’on soit primitiviste ou anti-primitiviste, ce sont les mêmes préjugés, retournés comme une chaussette. Pour en sortir, il faudrait renoncer à l’idée que notre état de civilisation est une exception et considérer que les autres modes de culture ont d’autres problèmes et d’autres réussites mais qu’en gros, toutes se valent et sont pleinement contemporaines dans leurs variations. Mais cette idée est récente », estime encore l’anthropologue. Le deuil du sauvage – qu’on le croie bon ou mauvais – ne fait que commencer.

Zoos humains. L’invention du sauvage

Exposition, du samedi 17 septembre au vendredi 23 décembre, à la Cité Miroir, place Xavier Neujean, 4000 Liège.

Informations sur www.zooshumains.be



Julie Luong
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