October 2016 /257

Philosophie morale, morale civique

L’opinion de Lucien François

On semble avoir enfin compris qu’il importait que tous les élèves (et non plus seulement ceux qui ne suivent aucun cours de religion) soient formés à réfléchir de manière critique sur les problèmes moraux et les différentes options – sans exclure les religieuses – proposées pour les concevoir et les résoudre. Il me paraît aller de soi qu’un cours obligatoire d’introduction à la philosophie morale doit être organisé à cette fin d’une manière uniforme et impartiale, et n’imposer à l’élève aucun jugement de valeur, quel que soit l’engagement personnel du professeur. Une société démocratique ne dicte pas de catéchisme. Cependant cette règle devrait connaître une exception pour le domaine particulier de la morale civique, autrement dit des devoirs moraux qui incombent à chacun de nous en tant que citoyen (je ne parle pas ici de la nécessité de s’instruire du système des institutions de la Belgique, assez étranger à la morale et devenu si complexe que seul un cours d’histoire permettrait de le comprendre).

Est-il raisonnable qu’un État qui se respecte renonce, sous le prétexte qu’il se veut pluraliste, à faire enseigner, dans les écoles qu’il finance, une doctrine officielle justifiant et recommandant à chacun d’observer, par-dessus ses tendances politiques ou religieuses, les devoirs qu’implique notre coexistence sur un mode étatique et démocratique ? Ces devoirs civiques sont, par exemple, d’accepter que force reste à la loi, même si l’on fait campagne pour que celle-ci soit changée ; d’apprendre à combattre pour ses idées et ses intérêts sans exercer de contrainte physique sur qui que ce soit ; de respecter, non pas toute opinion d’autrui, mais la liberté d’autrui d’exprimer des opinions même non respectables ; etc. La presse et les réseaux sociaux montrent assez combien l’ignorance et la confusion règnent sur ces questions fondamentales. Or la démocratie n’est viable que dans une population de démocrates ; rien ne sert de l’instituer si l’on néglige ensuite de la refonder par l’instruction publique dans l’esprit des générations successives.

FrancoisLucienLa difficulté est que le programme et les professeurs, qui pour bien faire doivent parler de morale en général de manière surplombante et non engagée, devraient en revanche, sur le chapitre de la morale civique, changer de ton, devenir normatifs et prendre parti. Acrobatie dont tout intellectuel doit être capable, mais qui ne peut s’adresser avec succès qu’à des esprits plus exercés que ne l’est d’ordinaire celui de jeunes élèves. Il serait donc peut-être plus sage de confier l’exhortation au civisme, non au cours général, mais à des conférences auxquelles les élèves seraient tenus d’assister et dont l’auteur apparaîtrait en qualité d’intervenant spécialement désigné à cet effet par les pouvoirs publics, pour affirmer notamment la suprématie des devoirs du citoyen – à commencer par celui de respecter les libertés constitutionnelles d’autrui – par rapport à tout système de croyances et de convictions qui pourrait être invoqué pour les méconnaître. Le cours général d’introduction à la philosophie morale pourrait donc, pour sa part, s’en tenir d’un bout à l’autre avec une totale liberté d’esprit à un examen historique et critique des différentes thèses. La distinction de ces deux points de vue – celui, politique au sens le plus élevé du terme, des valeurs fondamentales qui s’imposent à tout citoyen et celui, philosophique, de l’examen librement critique – est essentielle.

Lucien François
professeur émérite de l’ULg (faculté de Droit)

Photo : Raymond François.
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