October 2016 /257

La clé

Une approche psychiatrique d’avant-garde

LaCleBoulevard de la Constitution, adossé à la polyclinique Brull, l’hôpital de jour universitaire La Clé accueille une trentaine de patients du lundi au vendredi, de 8h30 à 16h, un rythme scolaire qui reprend, rassure ou recadre pour des personnes souffrant de diverses pathologies – dépression, troubles anxieux, troubles psychosomatiques, schizophrénie, burn-out, addictions. Sur la pelouse qui jouxte l’entrée, une sculpture verticale surmontée d’une silhouette animale composite figure un trou de serrure. « C’est un peu notre statue de la Liberté à nous », s’enthousiasme le Pr Jean-Marc Triffaux, directeur de l’institution. Le symbole renvoie en creux – comment le dire autrement ? – au nom de l’hôpital, baptisé “La Clé” par son fondateur, le Pr Jean Bertrand, sans que ce dernier ait jamais consenti à la moindre exégèse à propos de cette trouvaille. Énigme à double tour donc.

SANS LIT

En 1969, Jean Bertrand est alors le jeune assistant du Pr Maurice Dongier, psychiatre et psychanalyste français, qui lui souffle l’idée de ce projet en provenance de Montréal, où il s’est formé. Dans un contexte où la logique résidentielle est encore largement dominante en psychiatrie, la formule d’une hospitalisation “sans lits”, où les patients pourraient réintégrer leur domicile le soir, est pour le moins avant-gardiste. « Le Pr Dongier n’a passé que quelques années au sein de l’université de Liège – entre 1963 et 1971 –, mais il a considérablement marqué de son empreinte la psychiatrie liégeoise et internationale. Il faut se rappeler qu’à l’époque, c’est le recteur Marcel Dubuisson qui est allé le chercher proactivement à Marseille, ce qui n’est tout de même pas courant », raconte Jean-Marc Triffaux. Maurice Dongier inaugura à l’ULg la charge en psychologie médicale, chaire dont le Pr Triffaux est aujourd’hui titulaire. La psychologie médicale, née à l’époque des premières transplantations cardiaques, s’intéresse au lien entre le corps souffrant et la réaction psychique par rapport à la maladie. Elle comprend tout ce qui est de l’ordre de la psychologie en médecine et est donc utile à toutes les spécialités. Comment, par exemple, annoncer un diagnostic de maladie grave à un patient ?

Murs colorés, couloirs étroits, salles lumineuses et petit jardin : l’aménagement des locaux de La Clé se veut “cocoon”, loin d’un environnement hospitalier austère qui pourrait laisser entendre que l’heure est grave. Poterie, scrapbooking, atelier d’écriture, expression corporelle, pleine conscience, sport, etc. : le programme des activités se compose à la carte. « Mais attention, tient à préciser Jean-Marc Triffaux, ce n’est pas de l’occupationnel. La thérapie institutionnelle permet un véritable travail thérapeutique avec comme objectif la reprise d’une activité à la sortie de l’hôpital. » D’une durée moyenne de six semaines – mais pouvant aller jusqu’à trois mois –, le séjour se veut une voie vers la réinsertion socioprofessionnelle pour des personnes qui sont en général enferrées dans un profond isolement.

ET SANS DIVAN

Quant au travail thérapeutique, il repose prioritairement sur une grille de lecture psychanalytique, ce qui fait dire au Pr Triffaux qu’on pratique ici, outre une hospitalisation sans lit, « une psychanalyse sans divan ». « Psychanalyse et hôpital de jour sont dès le départ extrêmement liés. Nous prenons en compte les réactivations de transferts qui se produisent entre les patients et l’équipe soignante : nous essayons de les utiliser pour permettre au patient d’évoluer et de tirer profit de la dynamique du groupe, qui est un véritable laboratoire émotionnel », poursuit le psychiatre. Or, si l’hospitalisation de jour – moins stigmatisante, moins désocialisante mais aussi moins coûteuse – suscite aujourd’hui un regain d’intérêt en Belgique et ailleurs, une telle approche psychodynamique est désormais concurrencée par les méthodes cognitivo-comportementales. « Je pense qu’aujourd’hui, nous n’avons aucun intérêt à cloisonner les approches thérapeutiques. Que du contraire, l’approche éclectique et intégrative est à favoriser. Maurice Dongier était psychanalyste, mais il s’intéressait beaucoup aux apports des recherches sur le cerveau », commente à ce propos Jean-Marc Triffaux.

Reflet de cette vertueuse posture, la soirée d’hommage du 17 octobre au Pr Dongier, disparu en 2015, réunira côte à côte le neuroscientifique Steven Laureys, qui fera une communication sur “méditation et neurosciences”, et le psychanalyste Serge Tisseron, qui livrera une réflexion sur les liens entre “empathies et virtuel”. Histoire de suggérer qu’il y a, dans la psyché, autant de clés que de portes.

 

Soirée d’hommage au Pr Dongier

Le lundi 17 octobre, à 18h45, à la Salle académique, place du 20-Août 7, 4000 Liège.

Contacts : tél. 04.342.65.66, courriel i.izzi@skynet.be

Julie Luong
Sculpteurs : Philippe Ongena et Michel Mouvet.
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