October 2016 /257

Économie collaborative

Vous connaissez Uber ? Et Airbnb ? Derrière ces deux exemples se cache une réalité économique nouvelle et potentiellement révolutionnaire. Partager une voiture, rentabiliser une chambre d’amis, offrir un canapé à un touriste… Toutes ces modalités sont désormais faciles à réaliser grâce à internet. Mais quelles seront les conséquences sociales de ces choix ? Et que dit la loi à cet égard ? Le point avec le Pr Axel Gautier (HEC Liège) et Pauline Feron, attachée de recherche à l’Observatoire local de la cohésion sociale.

Le 15e jour du mois : Quels sont les enjeux de cette économie ?

GautierAxelAxel Gautier : Ce qu’on appelle l’“ubérisation” de l’économie se caractérisé par l’émergence de plateformes qui organisent les transactions entre plusieurs groupes d’utilisateurs et des “externalités de réseaux” entre ces groupes : la valeur de la plateforme pour un groupe dépend de la taille de l’autre groupe. Dans le cas d’ Uber, plus il y a de chauffeurs, plus c’est facile pour les usagers. Et vice versa. La plateforme a peu d’actifs et sa valeur est liée au nombre d’utilisateurs. Sur cette base, le marché a une tendance “naturelle” à la concentration et cela peut freiner l’arrivée de concurrents.

Une deuxième série de questions se pose pour moi. Quid de la confrontation des Uber ou Airbnb avec les modèles traditionnels dont ils sont les concurrents, à savoir les taxis et les hôtels ? Comment va-t-on les faire coexister et les encadrer ? Que doit-on imposer comme contraintes aux nouveaux opérateurs qui sont pour le moment fortement dérégulés ?

Le 15e jour : Des règles spécifiques ?

A.G. : En matière de régulation fiscale et sociale, il est à mon sens nécessaire d’établir de nouvelles normes pour l’économie collaborative. Mais l’on doit également repenser la régulation forte sur les secteurs existants. Par exemple, alléger les régulations tarifaires et les accès à la profession pour les taxis. Mais aussi les rendre plus innovants. Si Uber propose une autre manière d’offrir un service comparable, l’entreprise est innovante : formules tarifaires, géolocalisation, paiement en ligne, etc.

Le 15e jour : Ce qui constitue un aspect positif…

A.G. : L’économie collaborative amène aussi le partage et l’optimisation des ressources rares (outils, voitures, logements) et transforme les biens et les services. Mais dans les relations de travail et les aspects sociologiques de la vie, le modèle amène des changements fondamentaux, positifs et négatifs, difficiles à gérer. Je pense à la précarisation des revenus et des statuts ou bien à la pression au travail.

Le 15e jour du mois : À travers votre analyse du site de couchsurfing, comment voyez-vous l’économie collaborative ?

FeronPaulinePauline Feron : Globalement, dans le cadre de CS, l’économie collaborative donne une alternative au voyage traditionnel et “onéreux”. Grâce à une plateforme web, les voyageurs sont mis en réseau et peuvent s’organiser pour se loger et rencontrer des habitants locaux. Elle permet donc de voyager à moindre coût puisqu’il y a une interdiction implicite d’échange monétaire.

Le 15e jour : S’agit-il d’un nouveau modèle économique ?

P.F. : Jusqu’en 2011, le site fonctionnait sur une base de volontariat. Ensuite il s’est positionné en “B Corp”, c’est-à-dire avec des objectifs sociaux et environnementaux, tout en récoltant des fonds. S’il y a un vrai business derrière, je n’en connais pas le modèle économique exact. Couchsurfing est resté gratuit pour ses membres mais, en contrepartie, on y trouve désormais de la publicité. Au départ, l’objectif était de créer un monde meilleur en améliorant le “vivre ensemble”, puis ces valeurs ont évolué vers l’amitié et l’amusement, soit l’épanouissement de l’individu pur et simple. Peut-être pour le rendre plus compatible vers une évolution plus business.

Le 15e jour : Peut-on parler de concurrence avec l’hôtellerie plus traditionnelle ?

P.F. : Les personnes qui vont “couchsurfer” ont un profil spécifique qui repose sur l’acceptation de contraintes choisies. Sur base de règles implicites de convivialité et de rencontre de l’autre, il n’est en effet pas question de poser ses valises chez l’hébergeur et de disparaître jusqu’à l’heure du coucher. Or tout le monde n’est pas prêt à troquer le coût financier pour un coût en matière de contraintes sociales et de liberté. En restant gratuit, ce type de sites ne représente donc pas forcément une menace. L’économie collaborative a toujours existé, les plateformes web gratuites ont simplement facilité l’essor de ces pratiques autour d’un besoin ou d’un objectif commun à plus grande échelle. Il reste que, selon moi, celles qui fonctionnent sur un business traditionnel, monétarisé, s’écartent du véritable modèle et peuvent entrer en concurrence avec des services existants. Dans ces cas-là, il faut des régularisations politiques audacieuses au niveau des charges, des emplois L’économie collaborative ne doit pas être un prétexte pour légitimer des pratiques qui n’en sont pas.

L’économie collaborative : nouvelle rupture ou vieille recette ?

Rencontre-débat avec le Pr Axel Gautier (HEC-ULg/LCII), le Pr Nicolas Petit (département de droit/LCII) et Bruno Frère (faculté des Sciences sociales), le jeudi 13 octobre à 12h, à l’Espace ULg-Opéra, place la République française 41, 4000 Liège. Entrée libre.

* inscription via www.msh.ulg.ac.be/

Propos recueillis par Fabrice Terlonge
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