Novembre 2016 /258

Cartographie numérique

Géovisualisation et modélisation des données urbaines

Du GPS à Pokémon Go, les données spatiales numériques s’imposent dans notre quotidien. Pour pouvoir connaître l’état du trafic sur les routes ou le meilleur resto près de chez vous, il faut une carte numérique sur laquelle se greffe une multitude d’informations en mouvement. C’est sur celle-ci que travaille aujourd’hui l’unité de géomatique de l’université de Liège, reconnue en Belgique et à l’étranger pour l’excellence de son expertise transversale. « Notre discipline concerne l’acquisition de données, la structuration de l’enregistrement de ces données, les analyses que l’on peut en tirer ainsi que la communication et la visualisation des résultats », explique le Pr Roland Billen, membre de l’unité.

HallotPierreTOUS GÉOLOCALISÉS

De tous temps, les gestionnaires de l’espace public ont eu besoin de cartes et de maquettes pour élaborer des villes, construire des bâtiments, établir des réseaux, innover et rénover. Mais depuis les années 1980, l’apparition des données numériques a induit un changement majeur, d’abord avec le passage d’une carte papier à une carte numérique 2D, puis à une carte numérique 3D. « Dans les années 1990, le système GPS a par ailleurs permis de collecter de grandes quantités d’informations. Une étape supplémentaire a été franchie quand les périphériques mobiles ont eu la capacité de communiquer leur position en temps réel, à la fois entre eux et vers des serveurs grâce à l’internet mobile. C’est de cette manière qu’ont pu se développer des services comme Uber », explique à son tour Pierre Hallot, chargé de cours en faculté d’Architecture dans le domaine du relevé, de l’étude et de la représentation géométrique du patrimoine bâti. Ces évolutions ont donc à la fois démultiplié le nombre de données disponibles – 3 milliards de périphériques mobiles sont aujourd’hui en activité dans le monde –, mais aussi les possibilités de les transformer en informations selon les besoins de l’utilisateur. Utilisateur qui se mue lui-même en producteur de données puisqu’une application comme Google Trafic, par exemple, ne fonctionne que parce que la position de ceux qui utilisent cette application est connue ! « Cela pose bien sûr certaines questions éthiques, l’enjeu étant de savoir jusqu’à quel point il faut accepter la collecte de données pour en retirer un service », analyse Pierre Hallot. Accepter la “géolocalisation” contre un service personnalisé ? Qu’on la juge indécente ou non, la proposition est en tout cas de plus en plus fréquente.

CartesPOINT À LA LIGNE

« Dans le passé, on avait une carte que l’on étalait sur la table. On se mettait autour et on ajoutait des informations à la main. Aujourd’hui, la carte, c’est le fond de plan numérique », observe le Pr Billen. Une carte sur laquelle les modifications, ajouts et suppressions sont théoriquement illimités. Une carte infinie d’un point de vue temporel et spatial, puisque l’échelle elle-même peut passer du simple au centuple, de la vue générale au plus grand degré de précision. « C’est un modèle en perpétuelle évolution, un modèle non plus seulement en 3D, mais en 4D puisque la dimension temporelle est ici prise en compte », poursuit Pierre Hallot. Une temporalité qui s’applique tant aux personnes, dont les positions en temps réel sont prises en compte, qu’aux bâtiments eux-mêmes. « On peut à la fois intégrer des données historiques et des plans futurs. Ce qui permet, par exemple, de voir à quoi ressemblait telle partie de Liège il y a dix ans ou comment elle pourrait être dans dix ans. L’idée étant de conserver l’ensemble de ces versions de la ville », raconte le Pr Roland Billen.

Car en l’état actuel des choses – et aussi étrange que cela puisse paraître –, personne ne sera capable de dire demain à quoi ressemble aujourd’hui le territoire wallon. « Nous n’en avons pas une représentation homogène, c’est-à-dire que les données que nous avons n’ont pas toutes été mises à jour au même moment. Pour que cela soit possible, il faudrait faire un travail en amont sur le stockage des données et leur date », précise-t-il. Un travail qui permettrait, à terme, d’archiver de manière précise toutes les couches du palimpseste urbain ou, pour le dire autrement, de créer une super-mémoire de nos villes.

JehayD’autant qu’aujourd’hui, des techniques ultra sophistiquées permettent de collecter des données plus vraies que nature. Il en est ainsi du laserscan, un instrument dont l’ULg a fait l’acquisition pour la première fois en 2010. « Cet instrument émet un laser sur un miroir qui tourne. En mesurant le temps de retour de ce laser pulsé, on peut mesurer plus d’un million de points par seconde. Combinés à une technique photographique qui permet de colorer ces matériaux, on obtient donc des représentations extrêmement précises », détaille Pierre Hallot. La modélisation que l’équipe a réalisée du château de Jehay, par exemple, ou de la cathédrale Saint-Paul parle d’elle-même : on s’y croirait. Et jusque dans les combles, que le laserscan est parti fouiller dans les moindres recoins, révélant le plus petit copeau de bois. « Et pourtant, l’image que vous voyez n’est qu’un ensemble de points positionnés les uns à côté des autres, permettant de calculer un réseau maillé sur lequel on vient mettre une information couleur. Le point devient une nouvelle manière de représenter la géométrie d’un objet », ajoute Pierre Hallot.

ARCHITECTES ET GÉOGRAPHES

BillenRolandLa mise sur pied de ce “fond de plan numérique” a par ailleurs ouvert la possibilité pour les géographes et les architectes de travailler désormais de concert. « Avant, les géographes faisaient des cartes sur base du territoire et les architectes, qui travaillent plutôt sur le bâti, faisaient des plans. Ces deux disciplines avaient des modes de représentation complètement différents. Mais, au fur et à mesure, les avancées technologiques ont permis de créer une jonction étroite entre elles », fait remarquer Roland Billen. Le workshop qui se tiendra en décembre est sans nul doute un excellent symptôme de ces nouvelles affinités autour de la donnée spatiale numérique. « Nous souhaitons réunir des chercheurs en géomatique avec ceux qui travaillent dans le domaine de la modélisation informatique du bâtiment (BIM), mais aussi du computer graphics, c’est-à-dire des personnes qui travaillent sur la représentation d’informations dans les systèmes informatiques, autrement dit sur la réalité virtuelle. Car une fois que les données sont structurées, il faut aussi les communiquer et rendre ces modèles esthétiques », explique Pierre Hallot. Or, en matière de représentation, le terrain de jeu est d’autant plus illimité que les règles n’ont pas été définies. « Sur une carte, d’un point de vue sémiotique, l’ensemble des règles de communication a été fixé il y a longtemps. La rivière, par exemple, est représentée par un trait bleu. Sur les modèles 3D, ces règles n’existent pas encore. On peut être dans quelque chose de très photoréaliste qui sera notamment utile dans l’étude d’un parement de façade, mais qui ne servira à rien si on veut étudier le degré d’ensoleillement. Le colloque voudrait réfléchir à ces aspects de visualisation », ajoute encore le chercheur. Une approche susceptible d’intéresser les gestionnaires de villes, les entreprises, les concepteurs d’applications, l’industrie du tourisme, mais aussi les océanographes, les biologistes, etc. L’ensemble des professions, nombreuses, qui travaillent avec des cartes et sur des territoires.

UDMV 2016 – Urban Data Modelling and Visualisation

Le jeudi 8 décembre, place du 20-Août 7, 4000 Liège.

* informations sur http://events.ulg.ac.be/udmv2016/conference-info/



Julie Luong
Photos. Maison : Filip Biljecki. Modélisation château : Pierre Hallot et Florent Poux
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