Novembre 2016 /258

Cancer du sein

Démonter les mécanismes

Le prognostic d’un cancer en général, et du cancer du sein dans ce cas particulier, est plus mauvais en présence de métastases. Les recherches menées par les équipes de Pierre Close et d’Alain Chariot (Giga-Molecular Biology of Diseases) ont abouti à l’identification d’un mécanisme très particulier qui devient dès lors une piste prometteuse de traitement.

Au départ, une tumeur se développe à partir de mutations génétiques et de modifications de l’environnement de cellules. « Pour former des métastases, les cellules cancéreuses doivent exprimer un cocktail de protéines pour survivre et proliférer. Ce cocktail va changer, s’adapter pendant le processus tumoral dans ce but », explique Alain Chariot, l’un des auteurs des recherches. Et c’est ce mécanisme de changements qualitatifs et quantitatifs de l’expression des protéines qu’ont étudié les chercheurs liégeois, en collaboration avec d’autres équipes belges et internationales. La question que se sont posée les chercheurs est celle de savoir comment les cellules vont adapter leur signature protéique.

S’INSPIRER DES LEVURES

OrganoidPyMTLes protéines résultent de la synthèse d’acides aminés à partir de l’ARN. « Pour produire des protéines adéquates, la cellule cancéreuse doit pouvoir être capable de “lire” ces ARNs. Cette lecture se fait dans les ribosomes. Plus les ARNs correspondants sont bien lus, plus les protéines sont bien produites. Nous devions donc savoir quels sont les moyens développés par les cellules cancéreuses pour bien lire l’ARN. Nous savons que les ribosomes sont chargés d’ARNs de transfert qui vont “lire” des codons spécifiques et amener l’acide aminé adapté pour construire une chaîne », poursuit Alain Chariot, directeur de recherches au FNRS.

Les chercheurs ont constaté que l’expression de deux enzymes (ELP3 et CTU1/2) était indispensable pour que les ARNs de transfert puissent se modifier afin de promouvoir la formation de métastases. « De précédents travaux réalisés sur les levures ont permis de mettre en évidence le rôle de ce mécanisme dans l’adaptation et la résistance aux stress (thermique, osmotique par exemple), explique Pierre Close, chercheur qualifié au FNRS. Nous nous sommes inspirés de ces observations. En effet, dans le contexte du cancer, les cellules sont constamment soumises à différents stress et les réponses adaptatives sont exacerbées. Il peut s’agir d’un stress oncogénique, comme le fait que les cellules cancéreuses présentent un nombre nettement plus important de récepteurs HER2, comme dans certains sous-types de cancers du sein. Nous avons donc cherché à savoir si ces deux enzymes étaient impliquées également dans l’adaptation des cellules au stress oncogénique et la réponse a été affirmative. »

Une surreprésentation de ces deux enzymes a été observée dans les cas de cancers du sein, quel qu’en soit le type (hormono-dépendant ou non, triple négatif, HER2 positif ou non). Les chercheurs en ont donc déduit qu’elles devaient jouer un rôle. La lecture de l’ARN par la cellule cancéreuse et son adaptation grâce à la production de protéines spécifiques n’est donc possible qu’avec l’aide de ELP3 et de CTU1/2. Et leur traduction permet la production de LEF1, une protéine pro-invasive : elle favorise donc l’invasivité des cellules cancéreuses, étape essentielle pour la production des métastases. « Sans ELP3, il n’est pas possible de bien lire les codons et de produire LEF1. Nous avons donc inactivé ELP3 et constaté une diminution de l’initiation du cancer, mais surtout une inhibition de la formation de métastases. L’idéal serait aujourd’hui de synthétiser un médicament qui ciblerait spécifiquement ce mécanisme d’adaptation, car il pourrait s’agir d’un mécanisme général essentiel dans le développement des métastases », poursuit le Dr Close.

NOUVELLE PISTE DE TRAITEMENT

Et si traitement il devait y avoir, il s’ajouterait aux options thérapeutiques déjà existantes afin d’améliorer le confort et la survie des patientes. En tout cas, toute piste de traitement de ce type ne peut que redonner l’espoir aux femmes atteintes d’un cancer du sein dit “triple négatif”, car il s’agit du seul type de cancer du sein qui ne dispose pas encore de traitement spécifique.

L’implication d’ELP3 avait déjà été mise en évidence dans les cas de cancers du côlon il y a peu, par cette même équipe de chercheurs. Et il semblerait que cette piste soit valable pour bien d’autres cancers, peut-être tous, d’ailleurs. « Nous pensons qu’il s’agit en effet d’un mécanisme général des cellules cancéreuses. Nous avons utilisé le cancer du côlon dans un premier temps, puis le cancer du sein comme modèles, mais nous avons bon espoir de découvrir un jour que ce mécanisme vaut pour tous les cancers. Il faudra encore mener des études pour le vérifier… », conclut le Dr Close.


Carine Maillard
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