Novembre 2016 /258

Recycling valley

Le recyclage des métaux précieux au cœur du redéploiement liégeois

L’information, délivrée fin août dernier, n’a pas fait grand éclat. Et pour cause, elle n’a pas encore été communiquée ! L’université de Liège dispose désormais du label EIT, délivré par l’European Institute of Innovation and Technologies. C’est la formation de master in Georesources Engineering (EMerald) de la faculté des Sciences appliquées qui est ainsi visée. L’EIT, que l’on peut grosso modo assimiler à une sorte de Massachusetts Institute of Technology européen (excusez du peu...), valorise ainsi la dimension entrepreneuriale glissée depuis peu dans la formation des ingénieurs.

Pas de quoi créer un raz-de-marée dans les travées du Sart-Tilman ? Pas si sûr ! Car, ajoutée à d’autres petits signes qui seront officialisés le 21 novembre prochain, cette labellisation marque la reconnaissance d’au moins deux années d’efforts intensifs qui, à terme, pourraient tout bonnement changer l’avenir du bassin liégeois. Voire – qui sait ? – influencer le redéploiement économique de la région wallonne au sein de l’Union européenne.

AU-DELÀ DES “VIEUX FERS“

PirardEricUn mot d’explication s’impose. La majorité des minerais de métaux dits “stratégiques” (il y en a des dizaines : indium, germanium, gallium, niobium, etc.) se trouvent hors des frontières européennes. En risque significatif de rupture d’approvisionnement, ces métaux sont pourtant essentiels à nos activités quotidiennes. On en retrouve dans les véhicules automobiles, mais aussi dans l’équipement audiovisuel, l’éclairage économique (LED), sans oublier les smartphones et autres tablettes. Pour d’évidentes raisons environnementales, leur mise en décharge est devenue inacceptable. Recycler donc ? Affirmatif ! Mais récupération et recyclage butent encore sur de gros obstacles techniques, pour ne citer que ceux-ci. Il faut donc fournir un effort urgent de recherche et d’innovation.

De là, l’idée de l’équipe de l’unité de recherche Gemme (faculté des Sciences appliquées) de créer une sorte de “Recycling Valley”. Comprenez : profiter de la situation centrale de Liège, desservie par un très bon réseau fluvial et autoroutier, et riche en friches, pour développer un tissu d’entreprises spécialisées dans le recyclage – poussé bien au-delà des capacités actuelles  – de nos objets usuels arrivés en fin de vie. Le contexte est favorable. En effet, le concept d’“économie circulaire” (les déchets de l’un deviennent la matière première de l’autre) opère enfin une percée dans les esprits. Par ailleurs, les matières premières forment l’une des priorités d’Horizon 2020, le programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l’innovation qui, au travers de l’EIT, a libéré, pour ce secteur spécifique, 400 millions d’euros sur sept années. « L’Europe se réveille enfin, se réjouit le Pr Éric Pirard. Les autorités wallonnes l’ont bien compris. Elles ont engagé, en 2014, près de 41 millions d’euros pour financer, via le plan Marshall 2.vert, le Partenariat d’innovation technologique (PIT) Reverse Metallurgy-Économie circulaire NEXT, étalé sur cinq ans. »

ROBOTS TRIEURS

RobotL’idée de ce partenariat, aujourd’hui arrivé à mi-course, est de regrouper les forces de trois secteurs (université, recherche et industrie) pour mettre au point de nouveaux types de process dans quatre domaines : le tri intelligent (par exemple, via des caméras ultra-sensibles repérant les matières à valoriser), la bio/hydrométallurgie (la mise en solution – avec ou sans bactéries – des matières récupérables), les fours à torche plasma (pour leur mise en fusion) et la pyrométallurgie (qui permettra, par exemple, aux petites fonderies d’adapter leurs procédés aux nouvelles “matières premières” issues du recyclage). « Depuis près deux ans, tous les acteurs de l’innovation wallonne en matière de métallurgie collaborent, acquièrent des équipements, créent des réseaux et améliorent leur expertise, explique le Pr Pirard. Parmi ceux-ci, l’ULg, le Centre de recherche métallurgique (CRM) et des entreprises comme Comet. Mais, à terme, il faudra assurer une deuxième vie à Reverse Metallurgy, en permettant à des partenaires venus de toute l’Europe de se greffer sur la dynamique enclenchée. »

Tel sera le rôle de la plateforme d’innovation technologique CRESUS (Centre for Resource Efficiency and Sustainability), co-créée par l’ULg et le CRM et en cours d’installation sur le campus. Plus précisément : mettre au point des procédés innovants assurant la récupération optimale des métaux ; démontrer la “recyclabilité” des matières complexes issues de produits en fin de vie ; devenir une référence en termes de formation pour les professionnels et les chercheurs. « Il nous faudra l’aide de commerciaux, de sociologues, de juristes, affirme le Pr Éric Pirard. Car tout reste à faire sur le plan économique et réglementaire. Par exemple, imaginer des mécanismes incitant à fabriquer des produits qui, dès leur conception, sont pensés en fonction de leur deuxième vie. » Cette “polymétallurgie”, orientée sur des flux plus réduits mais infiniment plus variés que les métaux classiques, est donc en route. Bientôt, sur nos smartphones, un indice de recyclabilité, à l’instar des mentions énergétiques (A, A+, A++) apposées sur notre équipement électroménager ?


Philippe Lamotte
Photos. J. Verly : J.L. Wertz; casques VR : Pickup VR cinema
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