November 2016 /258

Aux portes du pénitencier

Laura Comito, psychologue à la prison de Lantin

Elle travaille sous les verrous la plupart du temps. Psychologue à la prison de Lantin depuis 2008, Laura Comito a dû se plier aux exigences de cette forteresse. « Au début, c’est vraiment impressionnant, avoue-t-elle avec le sourire. Les grilles, les portes blindées, les multiples vérifications avant d’arriver dans un bureau pourvu d’une alarme… Oui, l’enceinte carcérale est inhospitalière pour le personnel aussi. Petit à petit, l’habitude s’installe cependant et, aujourd’hui, je franchis ces contrôles sans trop y penser. »

Une trentaine de personnes exercent dans le service psycho-social de la prison, essentiellement des psychologues et des assistants sociaux. Une équipe qui se décline au féminin pour l’essentiel, un détail un peu inattendu pour l’œil extérieur. « C’est vrai, mais cela s’explique aisément : depuis plusieurs années, les amphithéâtres de la faculté de Psychologie sont remplis, à 75%, par des étudiantes, et la même observation vaut pour les formations d’assistants sociaux. Ce n’est donc pas un choix délibéré de la prison ! », confie Laura. Les deux médecins psychiatres, eux, sont masculins, mais cela doit s’expliquer aussi.

ComitoLauraLicenciée en psychologie clinique de l’ULg en 2000, Laura Comito a continué sa formation avec un DES en criminologie, puis un DES en expertise psychologique qui lui ouvre la porte des tribunaux. Depuis lors, elle conjugue ses compétences dans les deux disciplines pour mener une double carrière : d’une part, en tant que fonctionnaire au Service public fédéral Justice (SPF Justice) et, de l’autre, comme experte indépendante auprès des tribunaux.

UN ENFERMEMENT CONSENTI

« La population de la prison de Lantin est répartie en quatre“quartiers”, détaille Laura. La maison d’arrêt – dans laquelle se trouvent les prévenus et les hommes condamnés à moins de cinq ans d’emprisonnement – recense près de 500 personnes environ. La maison des peines réunit tous les autres condamnés masculins (environ 300 individus aujourd’hui). Le quartier des femmes en rassemble près de 80, toutes peines confondues, et l’annexe psychiatrique héberge à l’heure actuelle environ 80 personnes internées. Un étage spécifique est réservé aux détenus pour faits de mœurs. » Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le mandat de Laura n’est pas d’apporter un soutien psychologique aux détenus.

« L’activité thérapeutique ne fait pas partie de nos missions principales, bien que nous intervenions tout de même dans des moments de crise auprès des détenus afin de leur apporter un soutien psychologique. Nous travaillons principalement avec des centres agréés par la Fédération Wallonie-Bruxelles, hors les murs, auprès desquels les prisonniers, en congé ou en permission, sont invités à se rendre. »

L’activité principale de Laura consiste à rencontrer les détenus en vue d’entreprendre une évaluation qui mènera à la rédaction d’un rapport, exigé par les autorités (direction de la prison, Tribunal d’application des peines, etc.) en vue de se prononcer pour une mesure d’élargissement, sans oublier le volet réinsertion des individus auquel elle attache beaucoup d’importance. Cela nécessite de fréquents contacts avec des centres adéquats afin de proposer, par exemple, un milieu d’accueil pour une sortie.

« Lorsqu’une personne est condamnée, reprend-elle, elle peut bénéficier de plusieurs “modalités d’exécution de sa peine” : le bracelet électronique en est une; la permission, le congé, la libération à l’essai, la libération conditionnelle, en constituent d’autres. L’objectif étant, à terme, de favoriser la réinsertion du détenu dans la société. Dès qu’un prisonnier réclame l’accès à l’une de ces modalités prévues par la loi, l’administration nous demande un rapport d’expertise. »

Biographie complète de la personne incarcérée, examens de personnalité, profil psychologique : Laura Comito formule une analyse des hypothèses ayant pu mener l’individu au passage à l’acte et détermine les éléments qui pourraient favoriser une récidive. « C’est un travail de longue haleine, admet la psychologue. Bien souvent, 15 voire 20 entretiens sont nécessaires afin de dresser une image la plus complète possible du détenu, utile à la direction ou aux autorités qui devront rendre un avis quant à sa demande. »

Bien préparée par sa formation en psychologie clinique, Laura Comito a aussi beaucoup appris dans les formations proposées par le SPF. « Mon milieu de travail est très complexe, parce que la population est particulière et les problématiques changeantes. Hier, la question de la pédophilie était prégnante. Aujourd’hui, une attention spécifique est apportée aux terroristes : nos méthodes de travail doivent constamment être adaptées. Dresser un portrait juste d’un condamné plusieurs années après son incarcération ou percevoir les manipulations possibles est toujours délicat. Le fait de travailler en binôme et, plus largement, dans une équipe multidisciplinaire nous aide, heureusement. »

Être une femme dans le milieu carcéral, est-ce un atout ? « Peut-être, mais je n’en suis pas certaine, avoue-t-elle. Paradoxalement, les relations avec les femmes sont plus compliquées pour moi. Elles ont plus de mal à parler d’elles-mêmes. Peut-être est-ce une forme de pudeur, mais je trouve qu’elles sont plus mal à l’aise, qu’elles essayent de jouer sur la corde sensible… Les hommes sont plus directs. »

EXPERTE AUPRÈS DU TRIBUNAL

Preuve de son adaptabilité – et peut-être pour une question d’équilibre intellectuel –, Laura accueille dans son cabinet privé des victimes. Ses consultations répondent aux demandes des magistrats saisis d’une plainte pour abus sexuels. « Mon objectif en recevant les victimes, en l’occurrence des enfants et des adolescents, est d’évaluer la crédibilité de leur discours – et donc de leurs accusations – et d’estimer leurs séquelles post-traumatiques. Je dois dire que dans 75% des cas environ les dires sont confirmés. »

Last but not least, Laura Comito est également maître de stage à la faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’éducation, au service de psychologie de la délinquance. « J’ai décidé cette année d’entreprendre une thèse sous la direction du Pr Fabienne Glowacz afin d’étudier la psychopathie féminine, sujet encore très peu documenté. »

Patricia Janssens
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