January 2017 /260

Terrorisme

Être une voix, pas un écho

Les deux dernières années, 2015 et 2016, resteront à coup sûr dans les annales. Aux prises avec une série d’attentats revendiqués par l’État islamique – singulièrement en Belgique, en France et en Allemagne –, l’Europe vit probablement les années les plus douloureuses d’après-guerre.

DantinneMichaelDernier en date sur son territoire, le 19 décembre, un poids lourd a délibérément foncé sur un marché de Noël de Berlin, causant la mort de 12 personnes et provoquant des blessés par dizaines. « L’information a suscité, chez nous, beaucoup moins de réactions spontanées de soutien envers les victimes que ne l’a été l’attaque du siège de Charlie Hebdo, du Bataclan ou encore de l’aéroport de Zaventem », observe le Pr Michaël Dantinne du département de criminologie. Et que dire de l’attentat sanglant d’Istanbul le 1er janvier? La répétition des actes terroristes, nouveauté dans la sphère franco-belgo-allemande, émousse-t-elle notre indignation ? Les drames ont été perpétrés dans des lieux connus de tous les Européens, ce qui devrait, au contraire, par l’effet de proximité culturelle et géographique, déclencher une immédiate émotion de la part de tous les citoyens que nous sommes. Berlin plus lointain que Paris ? « L’hypothèse d’une potentielle résignation, d’une intégration de la donnée “terrorisme” par la population peut être formulée, note le Pr Michaël Dantinne. Si elle était objectivée,  elle marquerait une forme de banalisation et un changement  de nos styles de vie, sous les attaques de l’état islamique, faisant alors résonner son idéologie au cœur même de l’Europe. »

Ces attentats ont-il des répercussions sur nos comportements ? « C’est trop tôt pour le dire, reprend le professeur. Les mesures de sécurité mises en place incarnent un paradoxe : elles sont à la fois attendues par la population mais génèrent aussi de l’inconfort, voire de l’anxiété. Quel prix est-on prêt à payer pour notre sécurité ? Les (petites) complications imposées (attentes, fouilles, etc.) ne rebutent-elles pas les gens à se rendre au concert, à sortir prendre un verre ? La tentation du repli est présente, ce qui est l’un des buts recherchés par les terroristes. D’ailleurs, il faut déjà noter que – parce que la sécurité est devenue trop compliquée à organiser (et trop chère) – plusieurs manifestations ont été annulées en 2016, la braderie de Lille constituant peut-être l’exemple le plus fameux. »

Dans quelle mesure les experts, les médias, les hommes politiques ont-ils un rôle à jouer dans cette situation complexe ? « C’est un autre paradoxe : l’attentat de Nice a probablement inspiré les auteurs de la tragédie berlinoise, comme le fait d’avoir communiqué sur l’empêchement d’une attaque  du marché de Noël de Strasbourg pourrait avoir donné des idées à ces mêmes personnes », poursuit le professeur.  Et de regretter certains discours tenus quelques minutes à peine après les événements berlinois : «  à l’instar de ce qui fait le lit du conspirationnisme, devant un phénomène très complexe – le terrorisme –  des explications et des réponses simplistes sont  formulées très promptement : “l’auteur est certainement un migrant”. Voilà un enchaînement terrible : on  établit un lien de causalité totalement indémontré entre l’arrivée des réfugiés et les attentats sanglants. La migration devient alors une cause du terrorisme…, alors qu’elle est la conséquence des conflits armés, d’une part, et de la pression intégriste, de l’autre. »

Ces discours simplistes sont d’ailleurs proches de la rhétorique de l’état islamique, qui séduit les jeunes par des discours démagogiques et réducteurs. « Nous devons absolument sortir de ce raisonnement », conclut, provisoirement, le Pr Michaël Dantinne.


Patricia Janssens (le 11 janvier)
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