Avril 2017 /263

Un genre peu académique

Les études de genre, objet d’un nouveau master interuniversitaire

Ce fut longtemps la chasse involontairement gardée de quelques chercheuses militantes qui tambourinèrent sans effets aux portes des recteurs, doyens, décideurs successifs pour faire connaître et défendre leur objet d’étude : ce que la dualisation sociale, culturelle et symbolique femme /homme ou féminin/masculin fait à nos vies, à nos carrières, à nos manières de dire, de faire et de penser, de produire, d’innover, cela tant dans la sphère publique que privée. Ce champ de recherche connut ensuite une progressive institutionnalisation avec la mise en place d’enseignements, de masters et de chaires en “études de genre” dans de nombreuses universités européennes, pays nordiques en tête. La Belgique est restée longtemps à la traîne. L’étude de faisabilité d’un master interniversitaire menée sous la responsabilité de Sophia* et avec le soutien des autorités en matière d’égalité des chances débouchera en 2014 sur la création d’un tel master en Flandre. À la rentrée prochaine, la Fédération Wallonie-Bruxelles lui emboîtera le pas et cela notamment grâce à l’appui volontariste des ministres Jean-Claude Marcourt et Isabelle Simonis.

EtudesGenreAncrage théorique

Assurée conjointement par les six universités du sud du pays (UCL, ULB, ULg, USL-B, UNamur et UMons), cette formation est ouverte à tous les étudiants détenteurs d’un master ou à des personnes ayant une expérience professionnelle valorisable de cinq ans minimum. Les cours du tronc commun seront donnés le vendredi à Bruxelles tandis que les cours à option seront à piocher dans l’offre existante d’enseignements labellisés “genre” ou qui recourent à cette approche. Cette paire de lunettes transversale est déjà largement utilisée dans des disciplines aussi variées que l’histoire, la sociologie, les sciences politiques, la littérature, la psychologie, l’économie. Elle prend lentement sa place en sciences de la santé ou en sciences appliquées. « Les études de genre sont soit accusées d’être sans fondement scientifique, soit perçues comme un luxe, explique Claire Gavray, responsable pour l’ULg de la mise sur pied de ce master. Intéressantes mais secondaires. Beaucoup d’associations à Bruxelles et en Wallonie proposent déjà des formations en genre, mais nous entendons offrir un ancrage théorique fort. »

Stéréotypes

L’Europe a joué un rôle essentiel dans la promotion des études “genre” et des mesures d’égalité sexuée. Elle a fait pression sur les autorités et les gouvernements et a investi dans la lutte contre les réticences et les stéréotypes partagés par une partie de la population… et du corps académique. Il faut néanmoins rester vigilant selon la spécialiste, notamment dans la mesure où la dualité femme/homme et féminin/masculin a tendance à être utilisée comme argument managérial. « Dans les années 70, le “genre” était intrinsèquement lié au cap de transformation des rapports sociaux et de lutte contre les assignations et les inégalités, Aujourd’hui, la centralité de la notion et des revendications d’identité, la concurrence exacerbée au cœur des entreprises et des organisations réorientent les objectifs et ont tendance à remettre les gens dans des petites “boîtes” au vu de caractéristiques communément partagées et dont on pourrait tirer parti. Dans ce cadre, l’idée d’aller chercher chez les femmes et chez les hommes des qualités qui leur seraient inhérentes revient en force, avec un risque d’amplifier les valeurs et les attitudes stéréotypées sans réelle réflexion au niveau des hiérarchies professionnelles, salariales et sociales qui en découlent », poursuit Claire Gavray, active depuis de nombreuses années au sein du FER-ULg (Femme-enseignement-recherche). C’est une des raisons pour laquelle il a été décidé de ne pas reprendre le terme de “diversité”, cher aux recruteurs, dans l’intitulé de ce master, contrairement au choix de la Flandre.
Vaste chapitre qu’abordera aussi l’ouvrage bientôt publié par le FER-ULg dans le cadre du bicentenaire et dédié aux trajectoires de femmes à l’ULg, depuis la première diplômée en 1885 jusqu’à la rectrice qu’on attend toujours…

* Sophia : réseau belge des études de genre, www.sophia.be/index.php/fr

Master interuniversitaire en études de genre

* courriel secretariat-genre@uclouvain.be, site www.mastergenre.be

Le genre français

Conférence du Pr Éric Fassin (Paris VIII Vincennes-Saint-Denis), le 3 mai à 17h, dans l’auditoire Henri Pousseur, complexe Opéra, place de la République française 41, 4000 Liège.

* inscriptions par courriel cgavray@ulg.ac.be



Julie Luong
Photo : J.-L. Wertz
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