Avril 2017 /263

L’Orient dans un livre

Parmi les grandes figures de l’université de Liège : Victor Chauvin (1844-1913). Positiviste, bibliophile insatiable et amoureux de la culture arabe, il a contribué à faire passer l’orientalisme dans la modernité. Pendant près de 30 ans, il a recensé des milliers d’écrits arabes ou relatifs aux Arabes. L’œuvre – publiée en 1907 – dépasse la simple bibliographie, compilant résumés, annotations, commentaires ou indications sur les différentes éditions et traductions de chaque ouvrage répertorié. 12 volumes qui ont mené la connaissance de la question musulmane à un niveau jusqu’alors inédit en Occident.

VISION CARTÉSIENNE

ChauvinVictorÀ la fin du XIXe siècle et depuis la Renaissance, les contes et les légendes d’Orient dressent le voile du fantasme et de l’exotisme sur un monde que l’Europe connaît encore mal. Après avoir étudié le droit, Victor Chauvin occupe la chaire d’orientalisme de l’ULg. Multidisciplinaire, elle doit permettre d’observer l’Orient dans son ensemble (savoir, histoire, culture, droit, religions, art, folklore, etc.). Un travail d’érudition qui se matérialise chez Victor Chauvin notamment dans une Bibliographie des ouvrages arabes ou relatifs aux Arabes publiés dans l’Europe chrétienne de 1810 à 1885. Les savants sont bercés de la douce illusion qu’il est possible de contraindre l’entendement de l’univers grâce à la science. Il suffit de cataloguer, de systématiser, de comparer, de cartographier le monde. Victor Chauvin est un enfant de son temps. « La publication des textes orientaux est alors en plein essor, explique le Pr Frédéric Bauden, directeur actuel du service de langue arabe, études islamiques et histoire de l’art musulman. Les étudiants comme les savants, en dehors de leur spécialité, ne sont pas informés de ce qui existe. L’ambition de Victor Chauvin est de leur fournir un outil permettant d’avancer plus vite et plus loin dans leurs recherches. »

Rapidement, les limites temporelles et géographiques cèdent. L’orientaliste élargit son champ de recherche et l’ampleur de la tâche devient inimaginable. « Mais il ne s’arrête pas là, observe Frédéric Bauden. Il organise sa bibliographie en matières. Il commencera par la littérature sapientale, avant de s’occuper des proverbes, des contes, des pièces littéraires, de la poésie, pour finalement passer par la religion islamique, le droit, la philosophie, la médecine, la littérature des chrétiens d’Orient, etc. Ensuite, il ne se contente pas de donner la liste des titres. Il livre pour chaque publication les différentes réimpressions, les chapitres, leur contenu, des informations sur les auteurs; il donne des titres aux textes qui n’en ont pas… »

MILLE ET UNE NUITS

Les contes des Mille et Une Nuits, vieux de plus d’un millénaire, exercent alors une fascination incomparable en Occident. Et ce, depuis deux siècles, quand Antoine Galland, jeune orientaliste français, rapporte et traduit un exemplaire fragmenté, n’hésite pas à le modifier et à y ajouter des contes qui ne figurent pas dans le recueil original, comme Ali Baba et les quarante voleurs ou Aladin et la lanterne magique. Victor Chauvin n’est pas insensible à cette attraction. Il y accorde une attention particulière et compartimente ces textes selon une typologie narrative inédite. « Qu’il s’y intéresse à ce point n’est pas étonnant. À la fin du XIXe siècle, les productions culturelles du peuple gagnent les faveurs des milieux académiques. Il rapproche pour chaque conte les récits similaires appartenant aux autres héritages : grecs, latins, indiens, chinois, etc. » De ces observations découle un index de contes types, qui servira par la suite à classer la littérature folklorique dans le monde. L’érudit décède en 1913, loin d’avoir achevé son projet. Enfouies au milieu de centaines de livres, des milliers de notes manuscrites dorment dans les collections de l’ULg. Un dédale d’énigmes et d’abréviations dans lequel seul leur auteur pourrait s’y retrouver.

À l’occasion de ses 200 ans, l’université de Liège souhaite rendre accessible les publications des chercheurs liégeois qui ont marqué son histoire. Faire revivre quelques grands noms de scientifiques au travers de leurs recherches marquantes : telle est l’ambition de ce projet de vulgarisation baptisé “Famous Scholars”, mis sur pied en collaboration avec le réseau des bibliothèques (ORBi) de l’ULg.

* http://200.ulg.ac.be/famous-scholars.html




Philippe Lecrenier
Photo : Collections artistiques de l'ULg
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants