Juin 2017 /265

Trois livres par semaine

Nicolas Javaux, master en langues et littératures romanes et françaises

Il a abandonné femme et enfants quelques années avant la naissance de son petit-fils pour mener une vie d’aventurier qui le conduira jusqu’en Turquie comme directeur d’une maison de jeu. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’une esquille biographique de notre interlocuteur mais de celle du personnage central de son roman “favorissime”, Les Voyageurs de l’impériale, un livre au style très descriptif écrit par Louis Aragon en 1939. « Une brique de réalisme social fondée sur l’histoire d’un prof qui s’ennuie dans sa petite vie bourgeoise et qui tue sa vie d’avant dans un tripot. J’ai adoré le côté noir et blanc de la psychologie du personnage et l’écriture d’Aragon est l’une des plus belles. » L’enthousiasme est d’autant plus alléchant qu’il émane de celui qui gère le rayon “littérature” de la librairie Pax, située place Cockerill, à quelques pointillés de la faculté de Philosophie et Lettres.

JavauxNicolasD’ailleurs, Nicolas Javaux en est issu, lui qui, après avoir commencé son cursus à l’université de Namur, a obtenu son master en langues et littératures romanes et françaises à l’ULg, sans finalité didactique. Car s’il ne se sentait pas la vocation d’être prof – ne se considérant pas suffisamment “garant du savoir” que pour enseigner (il est toutefois chargé de certains cours à l’IFAPME à destination de futurs libraires) –, ce grand amateur de romans ne se destinait pas pour autant à être libraire. Ce n’est d’ailleurs pas son inclination pour la lecture qui conduisit  ce sympathique Beaurinois à exercer ce métier-là, mais plutôt le hasard des petits boulots d’étudiant nécessaires pour payer une partie des frais de ses études. En 2e master, il remplace une copine jobiste à la librairie Pax et finit par y travailler régulièrement. Puis, à l’heure d’envisager une thèse à la fin de son deuxième cursus, le commerce s’agrandit et son propriétaire lui propose un boulot à temps plein dans un domaine qui était déjà devenu le sien… et qu’il accepte finalement, faisant par conséquent l’impasse sur le doctorat.

« Étant étudiant, je lisais déjà deux ou trois livres par semaine. Aujourd’hui, j’essaie de tenir un bon rythme malgré le fait que ce soit plus difficile avec ma petite fille de 16 mois. Il est clair que je m’astreins à suivre les nouveautés, mais que je ne sais pas tout lire non plus comme j’imaginais pouvoir le faire au début. Alors, maintenant, si je n’accroche pas après 100 pages, je laisse tomber », confie celui qui n’a pas vraiment d’autres hobbys dans la vie, en dehors du brassage de quelques bouteilles de bière avec un ami et d’un militantisme qui s’est révélé dans le contexte des projets de réaménagement de la place Cockerill et de ses abords.

La vie de libraire n’est-elle pas quelquefois ennuyeuse ? « Pas du tout ! C’est passionnant d’être tout le temps dans la découverte, de pénétrer dans le milieu des auteurs et des éditeurs et d’entretenir certaines connivences avec les clients. Il y a aussi ce côté gratifiant d’arriver à convaincre quelqu’un de lire un bouquin qu’on a aimé. » Et puis, dans le cas de Nicolas, c’est aussi l’occasion de valoriser son niveau d’études au cours desquelles il a particulièrement apprécié la relative indépendance qui prévalait dans le choix des sujets, lesquels étaient discutés en séminaires. « Tout ça m’a permis de développer mon esprit critique, de savoir construire une argumentation et de disposer d’un bagage culturel ainsi que des connaissances de base pour évoluer dans ce milieu intellectuel qu’est la librairie », assure celui qui reste confiant quant à l’avenir du livre traditionnel, imprimé sur papier, que certains considéraient déjà comme une espèce en voie de disparition après l’arrivée du livre numérique. « On dirait que le marché des liseuses stagne et je vois qu’un livre numérique reste plus cher qu’un livre de poche. Et puis, à quoi bon stocker 1000 ouvrages dans la mémoire quand un seul bon livre en papier suffit ? », glisse adroitement notre libraire.

La véritable menace pour les indépendants viendrait-elle donc plutôt des plateformes de vente en ligne, dont la plus connue reste Amazon ? Oui, dans la mesure où les premiers sont pénalisés par la tabelle, cette majoration de prix (10 à 15%) qui servait à compenser les frais de douane entre la France et la Belgique ainsi qu’à compenser aussi les risques de fluctuation entre le franc français et le franc belge et que deux importants fournisseurs continuent toujours à appliquer malgré la création de la monnaie unique européenne. Du coup, lorsque l’on achète en ligne sur des sites français, c’est automatiquement moins cher pour au moins un tiers des livres. « Mais on n’a ni les conseils, ni la proximité. Par ailleurs, la majorité de nos très gros lecteurs sont à un âge où de petites différences de prix ne comptent pas réellement dans le budget qu’ils consacrent à leurs lectures. Alors, pour le moment, il n’y a pas de réelle crise », se réjouit Nicolas Javaux. Et lorsque se profile la langueur estivale, quoi de mieux que le coup de cœur de son libraire ?


Texte et photo : Fabrice Terlonge
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants