Juin 2017 /265

L’art de rebondir

Trop de sécurité tue la sécurité

La gestion des risques est un leitmotiv dans bon nombre d’entreprises. Mais en voulant tout prévoir, ne diminue-t-on pas la capacité d’adaptation, indispensable pour faire face aux nouveaux risques ? La “Resilience Engineering Association” débattra de ce sujet du 26 au 29 juin prochains lors de son 7e symposium à Liège, en collaboration avec la Pr Anne-Sophie Nyssen de l’unité de recherche ARCH en faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’éducation.

C’est en tant que psychologue du travail et ergonome qu’Anne-Sophie Nyssen s’est intéressée aux imprévus, aux accidents et à la façon dont on peut s’y préparer, en particulier dans les entreprises. « J’ai d’abord étudié les évolutions technologiques et organisationelles du monde du travail et leurs conséquences en termes d’erreurs humaines, de difficultés et d’accidents. Ce sujet m’a conduit aux concepts d’adaptation et de résilience qui décrivent une forme d’adaptation à l’imprévu et une reprise de fonctionnement après une crise », explique-t-elle.

FACE AUX CATASTROPHES

NyssenAnneSophieLes entreprises cherchent à gérer les risques, dont certains pourraient mettre leur fonctionnement en danger. Aussi tentent-elles de s’en prémunir par des technologies et par des réglementations, des procédures, qui ont pour but soit de les éviter, soit de les contrôler en cadrant le travail. « Cette approche de la sécurité “réglée” présente un paradoxe : en prescrivant ce qu’il faut faire, en réglementant, on diminue l’autonomie, la créativité des travailleurs, indispensables pourtant pour faire face à l’imprévu », poursuit la Pr Nyssen. Car, les scénarios envisagés par les gestionnaires de risque ne peuvent pas tout prévoir. « Les chercheurs parlent de “surprises fondamentales” pour décrire certaines catastrophes. Prenons l’exemple de Fukushima : qui aurait pu envisager un tel scénario ? La réponse apportée par l’homme dans ces crises est souvent critiquée. Mais comment former l’homme à l’imprévisible ? L’homme apprend par confrontation aux situations : si celles de son environnement sont routinières, identiques, ses possibilités d’apprentissage sont réduites. » Or les nouvelles formes d’organisation du travail tendent à la normalisation, à la standardisation, réduisant de facto la variété au travail et les marges de manœuvre de l’homme.

Pour Anne-Sophie Nyssen, ces limitations peuvent susciter la frustration, les stress et, en conséquence, favoriser le burn-out : « L’intensification des demandes, couplée à la réduction des moyens mis à disposition, créent parfois le sentiment chez le travailleur qu’il ne peut plus remplir correctement sa mission. D’où une perte de sens, un sentiment de non-accomplissement et d’insatisfaction. En diminuant les marges de manœuvre, en sur-réglementant l’activité, il n’y a plus de place pour l’intelligence au travail : les écarts aux règles ne sont pas tolérés, les initiatives sont perçues comme dangereuses, “la qualité est empêchée” pour citer Yves Clot, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).»

Comment réconcilier les deux approches de sécurité – une sécurité réglée qui guide, incite et une sécurité gérée qui crée, invente face à l’imprévu – plus que jamais nécessaire dans notre monde changeant ? Une partie de la sécurité repose sur la préparation de la réponse aux situations anticipables et une autre repose sur la capacité humaine (individuelle et collective) à créer localement la réponse aux situations qui n’ont pas été prévues.

L’INTERDISCIPLINARITÉ

Le courant de la Resilience Engineering cherche à réponde à ces questions en observant comment un système s’adapte aux situations non anticipées et quels processus sont activés lors de ces adaptations. Il réunit des ingénieurs, des designers, des mathématiciens, des économistes, des sociologues, des psychologues et aussi des industriels dans le but de concevoir des systèmes favorisant la résilience. « Le monde évolue de plus en plus vite : nous devons régulièrement nous remettre en question, que ce soit au niveau individuel, du groupe, de l’entreprise, de la région, de l’État. Quel est le prix de cette adaptation pour l’homme, pour le collectif, pour l’entreprise ? La résilience de l’organisation se fait-elle au détriment de celle du travailleur ? La conception d’un système, d’une structure organisationnelle, le design d’une technologie peuvent suivant le cas renforcer ou affaiblir ces résiliences », conclut le Pr Anne-Sophie Nyssen.

 

Poised to adapt: Enacting resilience potential through design, governance and organization

7th REA symposium, les 26, 27, 28 et 29 juin. Le lundi 26 à l’ULg, les autres jours à l’hôtel Les Comtes de Méan, Mont-Saint-Martin, 4000 Liège.

* www.rea-symposium.org




Carine Maillard
Photos : J.-L. Wertz
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