Juin 2017 /265

Akhenaton reprend des couleurs

La 3D au service de l’histoire

Quel est le point commun entre un égyptologue et un infographiste ? De prime abord, on pourrait penser qu’il n’y en a pas. Dimitri Laboury, directeur de recherches au FNRS, est pourtant la preuve vivante du contraire. Adepte des nouvelles technologies, le directeur du service d’histoire de l’art et archéologie de l’Égypte pharaonique de l’ULg collabore régulièrement avec Archéovision. Cette plateforme technologique 3D du CNRS, située à Bordeaux, vise à intégrer l’imagerie 3D dans les domaines de recherche des sciences humaines et sociales. Cette fois, c’est autour de la modélisation en couleur du buste d’Akhenaton qu’elle a rassemblé un spécialiste de l’Égypte ancienne, le doctorant Hugues Tavier (ULg), et l’historienne de l’art et restauratrice Maud Mulliez (université de Bordeaux Montaigne).

POLYCHROMIE

LabouryDimitriAvec le programme “Retro Color 3D”*, ces deux chercheurs utilisent le modèle 3D en y intégrant la couleur, ce qui constitue une nouveauté. Car, si la restitution des volumes est aujourd’hui maîtrisée, ce n’était pas encore le cas de la polychromie. « Nous nous sommes alors interrogés sur l’impact scientifique de cette possibilité et avons cherché à établir un protocole de validation scientifique de reconstitution 3D permettant de rendre compte, le plus justement possible, des couleurs originales d’objets archéologiques dégradés par le temps », explique Dimitri Laboury. Le buste d’Akhenaton conservé au Louvre constituait un parfait cas d’école grâce à la proximité de sa localisation géographique d’abord, et aux traces de couleurs et empreintes de motifs ensuite. Mais aussi et surtout parce que ce buste a un jumeau. « Celui de Berlin, trouvé – à l’instar du fameux buste de Néfertiti – dans l’atelier du sculpteur royal Thoutmose à Armana, précise le spécialiste. Il ne faut pas oublier que sa fonction première était de diffuser l’image royale. Il a donc été produit en série et selon un procédé très codifié mettant en œuvre une gamme de pigments limitée. » Série d’éléments qui favorisent une restitution plausible.

RASSEMBLER LES CONNAISSANCES

Une année durant, le buste d’Akhenaton a donc fait l’objet de toutes les attentions et, afin de mettre à jour les mystères de ses vives couleurs, l’égyptologie a dialogué avec la sculpture virtuelle, la restauration d’œuvre d’art, l’infographie. « Moi qui croyais connaître ce buste par cœur, cette recherche m’a permis de repenser les questions qu’il pose du point de vue de ma discipline », admet Dimitri Laboury. Si ce travail sur la couleur avait avant tout un but méthodologique, il démontre ainsi tout l’intérêt de rendre compte au mieux des couleurs originales. « Dans le cas du buste d’Akhenaton, cette recherche de perfection tant dans les traits que dans les couleurs n’est pas anodine. Elle résulte d’un choix dont on peut interroger le sens. » Celui-ci est, en effet, très souvent détenteur d’une signification historique. « La beauté étant une émanation d’Aton, le dieu dont Akhenaton est à la fois le prophète et l’incarnation, on peut y voir la projection d’un message à caractère idéologique », développe le chercheur.

Archeovision

Le buste conservé au Louvre et sa restitution en couleurs

De manière plus générale, Dimitri Laboury rappelle que l’utilisation de la 3D en histoire ne date pas d’hier : « Depuis qu’elle existe comme outil technologique, les égyptologues s’en sont très vite saisis. » Au départ, la collaboration reste très rudimentaire, mais au fur et à mesure – et une fois passé l’effet de mode –, le recours à cette technologie est de plus en plus fréquent. En effet, elle permet, d’une part,  une valorisation muséologique certaine – à travers le mapping notamment – et ouvre, d’autre part, de nouvelles pistes de réflexion. « Je suis convaincu que l’avenir et le renouvellement de la discipline viendront de ce genre de démarche interdisciplinaire, même s’il ne faut pas avoir l’illusion d’être spécialiste des deux domaines à la fois », tempère-t-il. Les nouvelles technologies sont plutôt un point de convergence entre les différentes disciplines.

« Le sens le plus mobilisé dans notre appréhension du monde est la vue. Il nous permet de créer des images mentales qui nous sont propres. Ainsi, lorsque que des chercheurs issus de disciplines diverses envisagent un même objet archéologique, leurs images mentales peuvent être très différentes et teintées de zones d’ombre. Là où le discours et/ou la représentation papier raccourciraient le modèle, la 3D permet au contraire d’extraire, de rassembler et de matérialiser les connaissances de chacun, rendant ainsi la collaboration plus intense », se réjouit l’égyptologue.

* Programme financé par la Région nouvelle d’Aquitaine et l’université Bordeaux Montaigne.

* publication sur http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/210343

Martha Regueiro
Photo : Archéovision
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