Juin 2017 /265

Donald Trump est-il malade mental ?

Un manque de respect pour les malades mentaux

Un collectif de psychiatres et psychologues américains a récemment suggéré que Donald Trump présenterait les signes cliniques d’une psychopathologie. À lire la série d’articles – de qualité variable – qui en découle, voilà l’homme affublé de quasiment tous les troubles possibles et imaginables : paranoïaque, schizophrène, personnalité narcissique, maniaque, etc1. Au risque de ne pas rencontrer le frénétique attrait – la fascination ? – des médias pour le nouveau président des États-Unis, mon propos, au fond, ne s’occupera pas de ce personnage suffisamment illustre. Il s’intéressera à ceux que la lumière fuit au quotidien : les malades mentaux. Ou plutôt, je voudrais évoquer les conséquences d’une telle proposition formulée par nos éminents confrères américains. Ce qui doit être déchiffré dans une telle assertion est le sens commun qu’elle draine. Ce que l’on associe à la maladie mentale par un tel jugement, ce n’est pas tant l’homme Trump – qui, parmi ces psychiatres, connaît autre chose que son image médiatique ? – que les représentations et symboles qu’il cristallise. Quels sont-ils ? Lorsqu’on dit que Trump souffre de maladie mentale, ce qui est mis sur la sellette, c’est le caractère affligeant que ce personnage donne à voir, la simplicité de sa pensée, sa xénophobie, son esprit belliqueux et hyper-protectionniste, la dangerosité qu’il incarne.

À la lecture de ces “accusations diagnostiques” – formule qui devrait toujours être un oxymore –, le clinicien que je suis s’est d’emblée demandé ce que ces prestigieux collègues allaient, par la suite, bien pouvoir dire à leurs propres patients affectés de maladie mentale. Cette tendance à la psychiatrisation de la dangerosité pose de sérieux problèmes. Psychiatres et psychologues observent en effet ces dernières années une assimilation lancinante – et pourtant erronée – entre maladie mentale et violence, voire stupidité. De sérieux arguments psychopathologiques, issus tant du champ de la pratique clinique que de la recherche fondamentale, permettent pourtant de fortement nuancer cet amalgame, de le tancer avec des motifs sérieux (il n’est toutefois pas question de nier que le lien avec la maladie mentale puisse, dans des circonstances spécifiques, exister).

Sous des dehors d’un humanisme “bon ton” – la rendant sans doute encore plus redoutable –, une confusion s’opère parfois entre la démarche psychopathologique, qui a pour vocation la compréhension d’un sujet dans sa complexité, et l’identification d’un individu ayant présenté un comportement délinquant, impliquant une réduction de la complexité du sujet. Cette relation tautologique entre maladie mentale et individu délinquant (qui culmine à travers le diagnostic de “personnalité antisociale” du DSM-5) conduit à une médicalisation de la délinquance en ouvrant la voie à de nombreuses dérives médicales et politiques déjà subtilement repérées par Michel Foucault : “En inscrivant solennellement les infractions dans le champ des objets susceptibles d’une connaissance scientifique, [l’expertise psychiatrique et l’anthropologie criminelle] donnent aux mécanismes de la punition légale une prise justifiable non plus simplement sur les infractions, mais sur les individus ; non plus sur ce qu’ils ont fait, mais sur ce qu’ils sont, seront, peuvent être”2. On comprend qu’un nouveau rapport de force s’annonce ainsi. Celui-ci consiste en la volonté, toujours en filigrane, de soigner le délinquant, mais aussi de contrôler le malade.

Cette petite réflexion met deux choses en exergue. D’une part, lorsque le psychopathologue prend position dans le débat médiatique, il devrait toujours avoir à l’esprit les conséquences que ses propos auront sur le sujet de sa science. D’autre part, cela permet de signaler que la maladie mentale ne doit pas être réduite à l’idée d’un déficit, d’une régression, d’une défaillance uniquement. Elle doit également être comprise comme une adaptation inédite, voire une sur-adaptation, un excès de fonctionnement ou de conscience. Des propositions contemporaines mettent par exemple en évidence que les personnes affectées de schizophrénie, bien qu’elles présentent effectivement de terribles déficits à plusieurs niveaux (éprouvé et expression des émotions, troubles de l’ancrage social et difficultés dans le décours de la vie quotidienne, notamment), ont également à faire valoir un excès de réflexivité et de raison. Le schizophrène serait l’homme qui se pose un ensemble de questions que tout un chacun a le privilège existentiel de ne pas avoir à se poser. S’auto-questionner de la sorte semble presque empêcher de vivre. Bien sûr, ce constat n’est guère réjouissant mais, en toute correction, ce n’est pas la même chose que de faire du schizophrène un arriéré, un être sauvage et régressif. Comme souvent, le poète avait vu clair bien plus tôt lorsqu’il suggérait que “ Le fou n’est pas l’homme qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu, excepté la raison ”3.

EnglebertJeromeDès lors, lorsque ces derniers temps certains de mes patients m’ont interrogé sur la maladie mentale de Trump, je pouvais leur dire toute la bêtise de cette proposition – sans aller jusqu’à dire qu’elle était folle. Je leur disais aussi que je ne savais pas s’il fallait considérer cela comme un beau compliment fait à Trump, ou comme un manque de respect à leur égard.

Jérôme Englebert
docteur en psychologie
département de psychologie

1 Rappelons toutefois ce principe déontologique très simple et fondateur de nos professions cliniques : l’on ne peut se prononcer à propos d’une personne que l’on n’a pas rencontrée – par manque de connaissance – et, si on l’a rencontrée, l’on ne peut rien en dire pour des raisons éthiques et déontologiques. Il ne semble pas usurpé d’affirmer qu’enfreindre l’un de ces deux prescrits correspond à un exercice illégal de la médecine ou de la profession de psychologue.
2 Foucault, M. (1975). Surveiller et punir, p. 26.
3 Chesterton, G.K. (1908). Orthodoxie, p. 32.

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