Septembre 2008 /176

Au fond de l’eau

Le 11 octobre prochain, à l’occasion d’une journée scientifique organisée par le Conseil médical du CHU, Corinne Charlier, chargée de cours au département de pharmacie, présentera les résultats d’une recherche consacrée à la “Cocaïne et ses métabolites dans les eaux de surface et les eaux de stations d’épuration en Belgique”.*

riviereLe laboratoire de “toxicologie clinique, médico-légale, de l’environnement et en entreprise” qu’elle dirige a en effet participé – avec son homologue de l’université d’Anvers – à une étude commandée par le service de la Politique scientifique fédérale. L’objectif était de savoir s’il était possible de mettre en évidence des résidus de cocaïne dans les eaux usées et dans les eaux de surface et, dans l’affirmative, d’évaluer la consommation de cocaïne à l’échelle d’un pays comme la Belgique.

Le 15e jour du mois : C’est la première fois que vous faites ce type d’étude ?

Corinne Charlier : Effectivement, et c’est aussi la première fois qu’une telle recherche est réalisée à l’échelle d’un pays entier. Quelques investigations ont été menées dans des villes italiennes, à Londres ou en Catalogne, mais jamais sur un aussi grand territoire.

Le 15e jour : Comment avez-vous procédé ?

C.Ch. : Le laboratoire d’éco-toxicologie d’Anvers a effectué près de 200 prélèvements à travers tout le pays, dans les rivières et les stations d’épuration, durant la semaine et à la fin du week-end, et ce au cours de deux campagnes d’échantillonnage : l’une en été, l’autre en hiver. Notre équipe – dont Laetitia Theunis, en charge du projet – a ensuite traité une partie des échantillons, le reste étant analysé au laboratoire d’Anvers. Selon la littérature et des expériences préliminaires, la cocaïne (COC) et la benzoylecgonine (BE) sont les deux molécules les plus intéressantes à doser pour ce type d’étude. En effet, lors de la consommation de cocaïne, celle-ci est métabolisée avec production de benzoylecgonine, rejetée par les urines; seule une petite partie, 10 % environ, n’est pas métabolisée par le corps humain et est excrétée telle quelle dans les urines. Le produit majoritairement excrété, la benzoylecgonine, peut dès lors être employé comme indicateur de la consommation de cette drogue. Afin d’établir notre évaluation, nous avons tenu compte aussi du débit de la rivière et du nombre d’habitants desservis par chaque station d’épuration.

Le 15e jour : Quels sont les résultats ?

C.Ch. : Nous avons estimé que la consommation annuelle de cocaïne en Belgique s’élève à 1,75 tonne, ce qui correspond à 17 millions de doses. Ce chiffre corrobore de façon objective les estimations de la police basées sur les saisies opérées. Comme on pouvait s’y attendre, le phénomène est essentiellement urbain : les villes d’Anvers, de Genk, de Bruxelles, de Charleroi et d’Arlon, entre autres, sont touchées. Liège semble moins concernée par le phénomène, mais c’est très probablement parce que nous n’avons que des données partielles pour la région liégeoise : la station d’épuration d’Oupeye n’était pas en fonction lors de notre enquête. L’usage le plus important se situe cependant dans la zone métropolitaine de Bruxelles avec, durant le week-end, 1,83 g de cocaïne consommé par jour pour 1000 habitants de 15 à 45 ans, et 1,29 g par jour en semaine. Globalement, la consommation est semblable au nord et au sud du pays.

Le 15e jour : A-t-on une idée de l’impact de la cocaïne sur la flore et la faune des rivières ?

C.Ch. : C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre à l’heure actuelle. L’influence d’une substance présente en traces dans un milieu naturel se manifeste après une longue période d’exposition : les paramètres doivent être observés pendant de longues années. Mais cela vaudrait certainement la peine de s’interroger non seulement sur l’influence des stupéfiants dans les eaux de surface, mais aussi sur l’effet des médicaments. Car si des résidus de cocaïne subsistent dans les rivières, il est vraisemblable que des traces d’antidépresseurs, de benzodiazépines ou d’hormones soient présentes également.

Propos recueillis par Patricia Janssens

Le rapport a été déposé en juin dernier et a fait l’objet d’une conférence de presse. Il est disponible en ligne à l’adresse www.belspo.be. La détection de cocaïne dans l’eau des rivières a été réalisée grâce à un appareil très sensible installé au CHU, le “LC/MS”, un chromatographe en phase liquide couplé à un spectromètre de masse.

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