Mars 2009 /182

3 questions à Julie Bakker

Le sexe du cerveau

 

Julie Bakker est chercheur qualifié FNRS au Giga-neurosciences.

 

 

C’est au sein du Giga-sciences que Julie Bakker, d’origine néerlandaise, mène des recherches particulièrement prometteuses sur le développement du cerveau. Après un post-doc à l’université de Boston, cette chercheuse a posé ses valises à l’université de Liège. Elle vient de décrocher un projet “Vici” de plus d’un million d’euros, subventionné par la Nederlandse Organisatie voor Wetenschapelijk Onderzoek (NWO, l’équivalent de notre FNRS) pour diriger, en collaboration avec le Nederlandse Instituut voor Neurowetenschappen (NIN) et l’hôpital de la Vrije Universiteit à Amsterdam, une recherche sur la différenciation sexuelle du cerveau chez l’être humain. Une marque de confiance importante de la part des autorités néerlandaises, très rarement manifestée de surcroît à un chercheur à l’étranger. Car Julie Bakker compte bien demeurer à l’université de Liège, où son équipe travaille depuis plusieurs années sur le développement du cerveau de la souris.

 

 

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Le 15e jour du mois : Vos recherches sur le cerveau portent essentiellement sur le rôle des hormones ?

 

Julie Bakker : Mes travaux concernent la façon dont le cerveau se développe de manière sexuée. En d’autres termes, je cherche à comprendre comment il acquiert un caractère masculin ou féminin. On sait en effet qu’une enzyme, l’aromatase, convertit dans le cerveau les androgènes (comme la testostérone) en oestrogènes. Si l’on provoque une mutation du gène producteur de l’aromatase, cette opération disparaît. Que se passe-t-il dans ce cas pour le développement cérébral ? Un tel type d’étude ne peut évidemment pas être menée chez l’homme, raison pour laquelle nous étudions dans mon laboratoire liégeois le comportement des souris transgéniques, grâce à un crédit du National Institute of Health de Boston, notamment. Avec le crédit de la NWO, je vais diriger une équipe de chercheurs à l’hôpital d’Amsterdam qui a créé un centre clinique pour les transsexuels.

 

Le 15e jour : A vous lire, on apprend que la notion de sexe anatomique ne correspond pas nécessairement à celle de sexe du cerveau ?

 

J.B. : Effectivement. L’identité sexuelle est définie par la présence de la testostérone pendant le développement embryonnaire. Le sexe du foetus est désigné par les chromosomes sexuels, soit deux chromosomes “X” pour les filles et un chromosome “X” et “Y” pour les garçons. Pendant le premier trimestre de la grossesse, un gène sur le Y va influencer les hormones de telle façon que les gonades de l’enfant se muent en testicules. Les gènes sur le chromosome X vont, quant à eux, transformer les gonades en ovaires. La différenciation des organes sexuels est dès lors effectuée. Le cerveau, pour sa part, se développe principalement au cours du deuxième trimestre. Or, une production anormale d’androgènes (hormones masculines) dans les glandes surrénales – l’hyperplasie congénitale des surrénales qui survient dans un cas sur 10 000 – ou un traitement à base d’oestrogènes (DES) pour éviter les fausses couches, peut perturber le développement d’une petite fille. Par ailleurs, un garçon portant une mutation dans le récepteur androgène ne pourra pas répondre aux androgènes pendant le développement et croît comme une fille au niveau de son anatomie et de son cerveau (le syndrome d’insensibilité complète aux androgènes, ou syndrome du testicule féminisant concerne, un cas sur 100 000).

 

 

C’est ainsi que, avec certains bébés sont, à la naissance, “de sexe indéfini” le pénis sévèrement atrophié, par exemple. C’est le cas d’un enfant sur 250 000. La réaction actuelle du monde médical est alors d’opérer le bébé et de le “transformer en fille”, tout en lui administrant un traitement hormonal. Ces femmes – dont l’apparence est incontestablement féminine – seront cependant stériles car elles n’ont ni ovaires ni utérus : Jamie Lee Curtis est le cas le plus célèbre du syndrome du testicule féminisant. Mais que se passe-t-il au niveau cérébral ? Les androgènes produits en grande quantité ont-ils une répercussion sur le développement du cerveau et dans quel sens ?

 

Le 15e jour : Cela nous amène au problème des transsexuels…

 

J.B. : Les transsexuels sont des personnes convaincues que, malgré les apparences, elles appartiennent à l’autre sexe (dans 75% des cas, ce sont des hommes qui consultent). Ce problème d’identité sexuelle se manifeste assez tôt : dès l’âge de 8 ans, certains petits garçons indiquent clairement leur préférence pour des jeux “de filles” et des vêtements féminins. La thérapie actuelle consiste dans un premier temps à bloquer leur puberté. En effet, d’un point de vue psychologique, ce moment est extrêmement douloureux à vivre pour ces adolescents qui voient s’affirmer les caractères sexuels masculins (barbe, voix) ou féminins (seins, règles) alors qu’ils refusent cette appartenance sexuée. Si, vers 15 ans, les adolescents persistent dans leur volonté de changer d’apparence, le médecin leur administre alors un traitement hormonal et, dernière étape, proposera une opération.

 

Face à cette problématique, mon objectif est double : établir un diagnostic scientifique précoce qui objectiverait la demande de l’enfant et, d’autre part, comprendre les causes du phénomène. Impossible dans ce cas de travailler sur des souris…, mais mes recherches sont complémentaires. J’étudie en effet les phéromones, des substances chimiques comparables aux hormones, produites par des glandes exocrines, ou sécrétées avec l’urine qui servent de messagers chimiques, olfactifs, aux individus. On sait que 99% des rongeurs utilisent les odeurs pour trouver leur partenaire. Chez l’homme, différentes études ont montré que notre système olfactif joue un rôle dans notre vie amoureuse, même si nous n’en sommes pas conscients. Ce qui signifie que les phéromones ont une influence sur notre comportement. Détectées, ces “odeurs” déclenchent en effet des réactions instinctives et différentes selon que l’individu est un homme ou une femme. Nous avons donc bien affaire ici à une réponse biologique de notre corps, laquelle indique indubitablement le sexe de notre cerveau. A cette fin, je compte utiliser des techniques de neuro-imagerie pour analyser l’activité cérébrale induite par une exposition aux phéromones chez les hommes et les femmes ainsi que les individus qui ont subi une différenciation sexuelle atypique du cerveau.

 

Dans cette même optique, je compte bien utiliser la banque de cerveaux du Nederlandse Instituut voor Neurowetenschappen qui dispose pour l’instant de 11 cerveaux de transsexuels. Je pense que l’étude de ces tissus cérébraux pourrait nous aider dans la recherche de preuves biologiques du sexe du cerveau, ainsi que dans l’identification des mécanismes cérébraux impliqués dans les troubles de l’identité sexuelle comme le transsexualisme.

 

Propos recueillis par Patricia Janssens

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