Juin 2009 /185

3 questions à Roland Marini Djang’Eing’A

Un 3e cycle de pharmacie organisé au Congo et au Rwanda

 

Roland Marini Djang’Eing’A effectue un post-doc à l’ULg, au service de chimie analytique (département de pharmacie).

 

Marini1

Photo: Thomas Freteur

Après avoir obtenu son diplôme de pharmacien à l’université de Kinshasa, Roland Marini s’est inscrit en DEA à l’université de Liège. Encouragé par le Pr Philippe Hubert, directeur du laboratoire de chimie analytique, il a décidé ensuite de poursuivre ses recherches et a soutenu une thèse en 2006. Conscient des problèmes sanitaires de son pays d’origine, il souhaite à présent mettre son savoir et ses compétences au service de l’amélioration de la santé en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda. Dans cette optique, les chercheurs ont introduit, avec l’assistance du Cecodel, dans le cadre du troisième appel à propositions d’Edulink (programme de coopération ACP-UE pour l’enseignement supérieur), un projet de formation dans le but de contribuer à l’amélioration de la qualité des médicaments dans ces pays. Ce projet a été accepté.

 

Le 15e jour du mois : Pourquoi un 3e cycle pour les pharmaciens du Congo ?

 

Roland Marini : La paupérisation de la population et le contexte de l’après-guerre engendrent une situation désastreuse sur le plan sanitaire. La dégradation de l’environnement est responsable de nombreuses maladies telles que le paludisme, les gastro-entérites, la fièvre typhoïde, les amibiases, etc. De surcroît, en RDC comme au Rwanda, la qualité des médicaments est un problème majeur de santé publique. Ce secteur souffre en effet de la circulation et de la vente des médicaments illicites, altérés et même falsifiés (60 % de cas), médicaments qui par ailleurs sont peu voire non contrôlés. Pourquoi ? D’une part, parce qu’il en manque cruellement, ce qui ouvre la voie à des marchands peu scrupuleux ; d’autre part, parce que de nombreuses pharmacies fonctionnent de manière illégale, sans pharmacien et sans inspection aucune.

 

Les produits qui circulent sont en très grande majorité importés des pays d’Asie et d’Afrique de l’Est. Pour la plupart, ils coûtent deux, quatre, voire dix fois moins chers que ceux importés d’Europe… parce qu’ils sont soit falsifiés, soit de piètre qualité ! Dans le cas le plus favorable, ces remèdes n’ont aucun effet, mais les décès dus à leur consommation ne sont pas rares. Les autorités de la RDC tentent de lutter contre leur importation et leur vente, mais il faut toujours encourager un contrôle efficace et fréquent de la qualité. Lors d’une mission effectuée récemment à Kinshasa, nous avons pu appréhender cette triste réalité : il n’existe pas de formation de 3e cycle pour les acteurs du médicament, en particulier pour les inspecteurs à qui l’on demande d’être efficaces malgré l’absence de moyens. Par ailleurs, il y a une insuffisance de formation de ces acteurs parce que le 2e cycle est orienté vers les bases de la pharmacie. Cependant, la réalité montre qu’il est plus que nécessaire de renforcer cette formation initiale par des cours plus spécifiques et appropriés, d’où l’importance de ce 3e cycle sur le contrôle de qualité des médicaments. Le but premier de la formation que nous commencerons en octobre est donc de former les acteurs du médicament et, en particulier, de donner aux inspecteurs les moyens de vérifier les produits mis en vente.

 

Le 15e jour : A qui destinez-vous cette formation ?

 

R.M. : Notre offre concerne tous les pharmaciens en place et les assistants des universités du Congo, le personnel de la 3e Direction du médicament de la pharmacie et des plantes médicinales du ministère de Santé publique ainsi que les acteurs du médicament issus des milieux industriels. Nous avons déjà une trentaine d’inscrits au Congo et les demandes continuent à affluer, parce qu’il y a une réelle volonté de changement.

 

Dès le mois d’octobre prochain, les promoteurs du projet se rendront à Kinshasa pour un premier module “en présentiel” (au Rwanda, la formation débutera en janvier 2010). Après ce premier mois de cours, les étudiants seront invités à poursuivre leur formation par des séminaires et cours pratiques via internet. Les cours en e-learning (postés grâce au soutien du Labset) se dérouleront pendant cinq mois environ. Ensuite, les étudiants viendront effectuer – grâce à des bourses financées par l’Union européenne notamment – des stages en Belgique, soit dans un laboratoire universitaire de l’ULg, de l’ULB ou de l’UCL, soit dans les industries pharmaceutiques elles-mêmes. Un mémoire de fin d’études clôturera le cursus, lequel sera sanctionné par un diplôme. Le nombre de bourses prévu par ce projet est de loin bien insuffisant par rapport aux nombreuses attentes. Nous continuons donc à chercher des financements supplémentaires.

 

Le 15e jour : Quelle est l’activité principale de votre laboratoire ?

 

R.M. : L’activité essentielle du laboratoire de chimie analytique composé de 15 personnes – dans le département de pharmacie – est la recherche orientée vers la mise au point et la validation de méthodes analytiques et bioanalytiques pour doser les principes actifs dans des matrices simples (formes galéniques simples) et les matrices complexes (plasma, urines, etc.). Le laboratoire poursuit également les activités de validation dans le cadre des tests de robustesse, de reproductibilité, y compris dans l’évaluation de l’incertitude des mesures analytiques. Toutes ces activités sont évidemment en lien avec l’industrie et l’inspection pharmaceutiques.

 

En ce qui me concerne, mes activités de recherche sont actuellement orientées vers le développement de méthodes génériques pour le dosage des médicaments antipaludéens dans différentes formes pharmaceutiques. Dans ce contexte, nous développons des méthodes capables de tracer simultanément plusieurs antipaludéens, afin de détecter des falsifications. En effet, une étude publiée dans The Lancet a mis en évidence 40 % de falsification des produits supposés contenir de l’artésunate utilisé contre le paludisme chimio-résistant. A cette fin, nous utilisons une technique séparative de chromatographie liquide à haute performance.

 

Dans un second temps, nous comptons associer à cette recherche la spectroscopie dans le proche infrarouge (PIR), méthode qui est en plein développement et de plus en plus utilisée dans le secteur pharmaceutique grâce à ses nombreux avantages : maintenance facile, utilisation en cours de fabrication de produits, analyse rapide, non destructive, polyvalente, peu coûteuse et ne nécessitant pas d’étapes de préparation de l’échantillon, ce qui permet de supprimer l’utilisation de solvants organiques. Nous allons exploiter cette technique dans le cadre d’un projet-cible interuniversitaire en collaboration avec l’université de Kinshasa et l’UCL, projet qui concernera également l’analyse des médicaments traditionnels améliorés auxquels plus de 80 % des populations africaines ont recours pour des raisons socioculturelles, socio-économiques et sanitaires.

 

 

Propos recueillis par Patricia Janssens

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants