Novembre 2009 /188
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La valeur de la science

3 questions à Björn-Olav Dozo et Sémir Badir

Sémir Badir est maître de recherches et Björn-Olav Dozo est chargé de recherches, tous deux au FNRS. Ils travaillent au service de rhétorique et sémiologie dirigé par le Pr Jean-Marie Klinkenberg.

Un colloque universitaire consacré à "la valeur de la science" a de quoi surprendre. Et pourtant, c'est sur ce thème que scientifiques, académiques et autres responsables de la recherche se retrouveront les 10 et 11 décembre prochains dans la salle des professeurs de l'ULg.

Bien connues dans la sphère du privé, les pratiques évaluatives s'imposent maintenant dans le monde universitaire : la "culture de l'évaluation" s'immisce sous le microscope et s'invite dans les comités de lecture. La recherche - comme toutes les activités qui ont un coût pour la société - doit désormais prouver son excellence et une série d'outils, principalement quantitatifs, sont mis au point pour la mesurer à tous les niveaux : laboratoire, revue, département, faculté, université. À l'instar des joueurs de tennis, les universités disposent maintenant de classements internationaux : les rankings font florès... et suscitent bien des polémiques au sein des équipes de recherche, toutes disciplines confondues.

À l'ULg, le personnel scientifique a souhaité faire entendre sa voix. C'est dans cette optique qu'un comité organisateur, initié à la faculté de Philosophie et Lettres*, propose deux journées de rencontre sur "la valeur de la science". L'ambition est de dégager des propositions pour un dialogue institutionnel à l'ULg en impliquant à titre égal des chercheurs de sciences humaines et de sciences "dures". Rencontre avec deux porte-parole des organisateurs de la manifestation.

 

 

 

Le 15e jour du mois : Un colloque sur l'évaluation de la recherche. Pourquoi ?

Björn-Olav Dozo : D'abord pour poser des questions, ce qui est bien le rôle dévolu aux scientifiques. Regardons, par exemple, les rankings des universités. Si les critères qui les sous-tendent sont plus ou moins explicites, qui les a déterminés et en fonction de quoi ? Qui récolte les informations et comment sont-elles traduites en chiffres ? Tout cela n'est pas très clair ou du moins pas autant que les chercheurs le souhaitent. D'autant que ces classements ne concernent pas seulement les universités. Savez-vous qu'il existe des listes de revues dites "scientifiques", établies par l'European Science Foundation ? Comment sont-elles constituées ? Quel rôle ont-elles ? Le financement des recherches ou des équipes sera-t-il lié au fait de publier dans des revues figurant dans ces listes ? Sans réponse, ces questions suscitent de grandes inquiétudes dans les milieux de la recherche. Que les choses soient claires : a priori, l'évaluation ne devrait pas inquiéter les chercheurs. Nous sommes en permanence jugés, par nos pairs et, dans une certaine mesure, par les étudiants. Ce qui nous gêne, c'est l'opacité qui entoure certaines évaluations.

Sémir Badir : En France, la mise en place d'une agence de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres) a provoqué des réactions très vives, et globalement négatives, dans la communauté universitaire. Au moment où le Recteur décide de constituer des instituts de recherche, tout en gardant ouvertes les modalités de leur fonctionnement, et alors qu'un vice-recteur a été nommé à "la qualité et à l'évaluation", il nous a paru utile de porter la discussion sur la place publique, car c'est l'opacité entourant la composition des organes d'évaluation qui a pu susciter l'opposition chez nos voisins, en même temps que le sentiment général d'avoir été exclus des décisions stratégiques.

Le 15e jour : Quelles sont vos craintes ?

S.B. : Il faut penser aux moyens d'évaluer les évaluateurs, et l'évaluation elle-même. Quand un chercheur fait fausse route, d'autres sont là pour le lui indiquer et redresser la barre. Mais si l'évaluation, en fonction de ses objectifs et de ses moyens, s'engage dans une voie de garage, c'est la communauté des chercheurs tout entière qui risque d'en pâtir. Plus que n'importe quoi d'autre concernant la recherche, la pratique évaluative devrait donc être soumise à la vérification. Or la "culture de l'évaluation" ne semble pas être décidée à se soumettre elle-même à un examen scientifique, voire simplement critique...

B-O.D. : Prenons un point précis : l'innovation. L'expérience américaine montre que ce sont surtout les secteurs reconnus - déjà largement soutenus et souvent à l'acmé de leur existence - qui profitent des classements. Comment alors réserver une place aux secteurs émergents, aux recherches originales qui, au départ, paraissent bien éloignées d'une quelconque rentabilité ? Les chercheurs, c'est indéniable, craignent une instrumentalisation de la recherche.

Le 15e jour : Ferez-vous des propositions ?

B-O.D. : Nous organisons cette rencontre dans un esprit constructif. L'ULg pourrait adopter une position d'avant-garde en posant un regard critique sur le phénomène, de manière à éviter les écueils sur lesquels ont buté la France et les Etats-Unis par exemple.

S.B. : Il est temps aussi, nous semble-t-il, de nous interroger sur certaines valeurs. La culture de l'évaluation (et du classement) est interventionniste et pragmatiste ; elle privilégie le court terme et l'utile. Son idéologie n'est pas toujours compatible avec les valeurs de la recherche. À l'horizon, c'est la définition même de l'université qui est en jeu !

Propos recueillis par Patricia Janssens

* Font partie du comité organisateur : Florence Caeymaex, Sémir Badir, Grégory Cormann, Laurent Demoulin, Björn-Olav Dozo, Pierre Noiret, Vinciane Pirenne, Stéphane Polis, François Provenzano (faculté de Philosophie et Lettres), Hervé Degée (faculté des Sciences appliquées) et Frédéric Heselmans (Institut des sciences humaines et sociales).

La valeur de la science
Colloque organisé par le personnel scientifique
Salle des professeurs, place du 20-août 7,
4000 Liège

Jeudi 10 décembre
9h : exposés, avec notamment la participation de Michel Blay (CNRS), "Science, connaissance, évaluation et enjeux politiques"

Vendredi 11 décembre
9h : table ronde en présence des Prs Freddy Coinoul, vice-recteur à la qualité et à l'évaluation, Pierre Wolper, vice-recteur à la recherche, Jean-Pierre Bertrand, doyen de la faculté de Philosophie et Lettres, et d'Isabelle Halleux, directrice de l'ARD, notamment
13h : séance du séminaire de philosophie intitulé "Efficacité : normes et savoirs", au local Philo II; intervenante : Florence Caeymaex, "L'efficacité dans les sciences : gérer et évaluer la production des savoirs ?"

Programme complet sur le site
http://promethee.philo.ulg.ac.be/evaluation/

Contacts : tél. 04 366 55 90,
courriel F.caeymaex@ulg.ac.be

 

 

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