Décembre 2009 /189

Bouleversements climatiques

Optimisme ou fatalisme ? Les chercheurs de l'ULg s'expriment

Taxation des voitures au kilomètre parcouru, villes pilotes 0% émission de carbone, maison thermo-efficace made in Liège, terre d'asile de 200 000 miles carrés pour les ours blancs au nord de l'Alaska, première diminution de la consommation du pétrole mondial depuis 16 ans, réserves de lithium dans un désert de sel bolivien pour produire davantage de batteries... Accompagnant l'effet médiatique du Sommet onusien de Copenhague sur le climat, les initiatives cadrées dans une optique de sauvetage de la planète sont abondamment relayées par l'ensemble de la presse belge et européenne. Mais à l'heure où la planète semble enfin prendre conscience qu'elle va bientôt avoir les pieds dans l'eau, d'autres constats et mises en garde alarmistes viennent faire contrepoids à ces perles positives : sécheresses terribles en Afrique - au Kenya du Nord - où les éleveurs nomades commencent à manger leurs troupeaux avant que leurs bêtes ne meurent de faim, fréquence accrue des événements climatiques extrêmes (cyclones, inondations, etc.), stress hydrique, hausse du niveau des mers, taux vertigineux de CO2 dans l'atmosphère, acidification des océans, extinction annoncée d'un mammifère sur cinq, d'un amphibien sur trois et de 70% des plantes...

"Que peut-on raisonnablement craindre ou espérer ?"
Entre optimisme et fatalisme, est-il encore temps de sauver la planète ? Centré sur son plus proche environnement, c'est-à-dire lui-même, l'homme n'est-il pas amené à envisager de s'adapter à un monde chaotique induit par des changements majeurs inéluctables et d'apparence hostile ? Que peut-on raisonnablement craindre ou espérer ? Le processus de culpabilisation de nos habitudes dispendieuses est-il générateur de créativité ou de blocage ? Nous avons posé ces questions à des chercheurs de l'ULg, qui ont accepté de nous livrer leur sentiment à travers le prisme de leurs disciplines respectives.

Climat1Auteur de Géopolitique du changement climatique publié chez Armand Colin, François Gemenne, chargé de recherches FNRS au Cedem, a une vision panoptique de ces problématiques. Selon lui, la lutte contre les changements climatiques englobe deux volets : d'abord, la réduction des gaz à effet de serre; ensuite, l'adaptation de l'homme face à des impacts climatiques (non uniformes) jugés inéluctables en raison de l'effet d'inertie de l'activité humaine.

Cette adaptation commencera dans une élévation de la température moyenne que la plupart des pays souhaitaient voir limitée à 2° C. « Mais à 2°, la hausse du niveau des mers - par un effet d'expansion thermique des océans - signifie déjà un risque de disparition de certains états insulaires », souligne François Gemenne, dont l'intérêt pour la question des réfugiés climatiques remonte au jour où il fut coincé dans un ascenseur avec l'ambassadeur de Tuvalu aux Nations Unies. Ce petit archipel du Pacifique Sud pourrait être la première nation au monde à disparaître d'ici 50 ans. Par contre, dans une Europe plus à même de se doter d'infrastructures de protection du littoral que dans des pays pauvres et exposés tels que le Bengladesh où la population vit essentiellement au bord de la mer, une élévation constante de la température pourrait faire ressurgir des maladies comme la malaria, dont certains cas étaient recensés dans des zones marécageuses belges au XIXe siècle.

S'il admet cette éventualité, Philippe Mairiaux, du département des sciences de la santé publique, se montre néanmoins optimiste quant à l'avenir de la planète : « Auparavant, deux hommes sur trois fumaient en Belgique. Il a fallu 50 ans pour que ce comportement ne soit plus valorisé socialement et que l'on admette que c'était une cause de mortalité. Je sens des frémissements ainsi qu'une préoccupation encourageante et plus rapide que pour la problématique du tabac. » Reste que les mesures pour l'environnement ont aussi leurs effets pervers, notamment en ce qui concerne les habitations thermo-efficaces : « On se pose la question de la qualité de l'air dans ces maisons passives très isolées et donc assez étanches à l'air. Des taux de polluants plus importants à l'intérieur qu'à l'extérieur peuvent y être observés, liés à l'activité intérieure. »

Qui dit hausse de la température dit donc élévation du niveau des océans et salinisation des nappes phréatiques par intrusion, avec des conséquences sur l'agriculture et l'eau potable. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) estime cette hausse à un mètre d'ici la fin du siècle, et de six à sep mètres, à plus longue échéance, en cas de fonte de la calotte antarctique. Fin octobre, un article du Soir titrait avec humour "Les calottes sont cuites", soulignant que la fonte du permafrost (sol gelé en permanence) dans les régions antarctiques risquait de libérer du méthane, qui est lui aussi un gaz à effet de serre.

« Un mètre oui, mais sept mètres ça nous paraît beaucoup », doutent de conserve Bruno Delille et Jérôme Harlay, chercheurs à l'unité d'océanographie chimique. Et d'expliquer que l'eau douce qui s'écoule en fondant lubrifie la base de la calotte glaciaire et accélère l'écoulement et la disparition de cette dernière. Il y a aussi l'effet de "rétroaction glace-albédo" qui fait que, en rétrécissant, la glace (étendue blanche et réfléchissante) est remplacée par une surface aqueuse beaucoup plus sombre qui absorbe davantage les rayons solaires, réchauffe l'océan et fait fondre encore plus de glace. « Mais, en raison des effets d'écoulement entre les différents bassins océaniques en fonction des températures et des pressions, le niveau de l'eau peut être plus haut à un endroit, et plus bas à un autre. »

Selon François Gemenne, une hausse du niveau des mers d'un centimètre engendrerait un risque de déplacement d'un million de personnes. Des réfugiés climatiques absents du droit national et international. L'actualité nous montre, en outre, combien le déplacement des populations palestiniennes est déjà problématique, à l'heure où la nappe phréatique de la bande de Gaza est contaminée en raison de l'augmentation de sa salinité due à l'immixtion d'eau salée causée par l'extraction excessive d'eau souterraine, et polluée par les eaux usées et l'irrigation agricole. A l'échelon de la planète, le politologue affirme que le coût de l'adaptation de l'homme face aux changements climatiques se chiffre à environ 100 milliards de dollars par an. Mais au plan politique, selon quels critères répartirait-on cette somme ? On sait que les pays les plus touchés sont globalement les plus pauvres et les moins responsables, et l'on ne peut empêcher d'autres pays comme la Chine de poursuivre leur développement.

"Il faut dépasser la politique du "ici et maintenant" pour se tourner vers une politique planétaire à long terme"
Cette négociation sur la solidarité internationale est l'un des nombreux enjeux de Copenhague, où une politique concertée à l'échelon international doit être trouvée sur les questions de production et de consommation. « Il s'agit de problématiques globales qui dépassent en cela les dimensions temporelles et spatiales de l'action politique traditionnelle. Si l'on veut une politique cohérente, il faut dépasser la politique du "ici et maintenant" pour se tourner vers une politique planétaire à long terme », souligne Sébastien Brunet, du département de science politique.

« Une autre dimension cruciale est celle des inégalités entre les riches et les pauvres qui augmentent avec les changements climatiques, ajoute Marc Mormont, spécialiste en socio-économie, environnement et développement. Je me montre un peu pessimiste, mais sans la remise en question de ces inégalités, rien n'est possible. Il faudrait se poser la question de savoir si les systèmes dans lesquels on vit, avec des gagnants et des perdants, sont viables. Je parle du milieu naturel, social et économique. Dans nos pays par exemple, il s'agit de raisonner en termes de villes réellement viables, et non pas en termes de performances techniques, comme c'est le cas actuellement. »

Climat2L'anthropologue Lucienne Strivay croit davantage à la souplesse des réseaux associatifs pour amorcer ces changements, alors que les Etats et institutions n'ont pas été aménagés pour ces problématiques ou ne disposent pas des moyens d'action appropriés à la réalisation de tels objectifs. Mais on ne peut pas se permettre de dire "est-il encore temps de sauver la planète ?". Il faut poursuivre l'information des gens pour soutenir et multiplier les réactions qui s'amorcent. « Et puis, nous n'avons pas d'autre choix que de faire confiance aux capacités d'adaptation de l'humain, même s'il n'est pas possible de se préparer vraiment à des changements dont on ne sait pas exactement ce qu'ils seront. Vous seriez-vous imaginé vivant dans le désert australien presque sans rien, sans maison et sans intérêt dominant pour l'invention technique ? Imagineriez-vous, de manière assez réductrice, vous satisfaire de l'invention du boomerang ? »

La technique, par ses évolutions, pourrait aussi aider à sauver le monde. Si Sébastien Brunet stigmatise le discours de certains industriels ou chercheurs laissant entendre que l'évolution de la science et des technologies rendra plus tard, presque miraculeusement, tous les problèmes solubles, le Pr Jean-Louis Lilien, spécialiste du transport et de la distribution de l'énergie à l'Institut Montefiore, est pour sa part plus optimiste. Selon lui, l'électricité est la plus à même de nous permettre de produire, d'utiliser et de transporter des sources d'énergie propres. Et de citer le projet Desertec, un immense chantier de centrales solaires et éoliennes interconnectées dans le Sahara, capables de couvrir 15% des besoins de l'Europe d'ici 15 ans. « Avec une superficie raisonnable, l'on pourrait alimenter toute l'Europe et l'Afrique en énergie électrique », estime le professeur.

Restent les pertes difficilement quantifiables comme celles d'une culture ou d'une langue. « II n'existe pas de plus grande douleur au monde que la perte de sa terre natale », écrivait Euripide dès 430 av.n.ère. Exemples d'adaptabilité à un univers hostile et de peuple attaché à leur culture par-delà leur ouverture à la modernité, les Inuits vont être exposés à un bouleversement de leur écosystème et à un changement de nourriture. « Un écosystème a besoin de temps pour s'équilibrer, observe Bruno Delille. Ils ont mis des milliers d'années pour atteindre un optimum et si, on les perturbe, ils ne pourront pas s'adapter rapidement. » Les océans devenant plus chauds et plus acides au fur et à mesure que le taux de CO2 dans l'atmosphère augmente, le plancton absorbe moins de dioxyde de carbone et un nouvel effet boule de neige apparaît.

Mais pour Bruno Delille - grand visiteur de l'Arctique - qui pense tout de même à se presser de montrer les derniers ours blancs à ses enfants, pas question de rester inactif face à ces phénomènes graves, « car si l'on ne fait rien, tout va s'emballer ». Et il s'agit toujours d'essayer d'atténuer un processus, ou tout au moins de limiter son ampleur. D'où l'intérêt des films de sensibilisation qui se multiplient depuis Une vérité qui dérange, porté par Al Gore. « Je pense tout de même que ces films qui culpabilisent les gens sur leur mode de vie peuvent couper net un certain nombre d'initiatives. Or, c'est l'inventivité et la technique qui nous sauveront », relève Jean-Louis Lilien. Pas tout à fait, si l'on suit Benoît Dardenne, professeur de psychologie sociale : « La plupart des théories sur les émotions montrent que l'émotion de culpabilité peut faire bouger les choses. Par contre, c'est la culpabilité individuelle qui peut être inhibante, proche d'un sentiment de honte induisant l'immobilisme. La culpabilité collective peut être liée à une volonté de réparation », nuance le psychologue.

Avec la montée de l'angoisse et de l'inquiétude, Lucienne Strivay se demande si les régimes politiques n'auraient pas tendance à durcir les normes et les contrôles ou à radicaliser les prises de décision. Et de relever que les régimes plus "policiers" finissent par engendrer davantage de tension, moins de souplesse et une fermeture d'esprit certaine. Chez Marc Mormont, c'est plus qu'une impression prudente : « Avec la culpabilité et la peur, je crains que les gens ne s'en remettent à des gourous - au mieux - ou à des tyrans - au pire. » Mais au final, ces deux intervenants se demandent s'il ne serait pas temps de poser aussi la question de savoir ce qu'est et que sera le bonheur des gens, en dehors de la logique utilitariste qui prévaut actuellement.

"Se poser la question de savoir quel est le bonheur des gens"
Dans le camp des pessimistes, Claude Lévi-Strauss disait dans un film de Pierre-André Boutang : « J'imagine que l'humanité n'est pas entièrement différente de ces vers de farine qui se développent à l'intérieur d'un sac et commencent à s'empoisonner avec leurs propres toxines bien avant que l'espace physique ne leur manque. » Le père du structuralisme et fondateur de l'anthropologie moderne, récemment disparu, mettait ainsi en doute la capacité de l'homme à résister au changement qu'il a lui-même induit.

A la question de savoir ce qu'elle pensait du réchauffement climatique, une Inuit active dans l'activité touristique répondait il y a peu dans une émission de télévision française : « C'est agréable ! Ici, il fait habituellement très froid, et je préfère quand il fait chaud... » Comme quoi, le réchauffement climatique peut avoir de rares points positifs, aux dires même de François Gemenne, tout en prédisant des changements agricoles majeures en Europe, notamment pour ce qui concerne les oranges espagnoles et le vin de Bordeaux. En premier lieu, le rendement des récoltes serait sans doute amélioré à court terme grâce à l'augmentation des températures en Europe du Nord, en Russie et au Canada. « Mais, selon le Giec, cela va s'inverser après quelques années, et des carences alimentaires mondiales risquent de survenir », prévient le Pr Marc Aubinet, de Gembloux Agro-Bio Tech-ULg. Sans doute moins de personnes mourront-elles de froid et de nouvelles routes maritimes pourront être ouvertes à la place des glaces du pôle Nord. Nous voilà rassurés.

Fabrice Terlonge

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