Février 2010 /191

Reconversion

General Motors a annoncé la fermeture du site de production des voitures Opel à Anvers.
Regards croisés de Nicolas Petit, chargé de cours et spécialiste du droit européen de la concurrence en faculté de Droit et de Science politique et du Pr François Pichault, expert en gestion des ressources humaines à HEC-ULg.

PetitNicolasLe 15e jour du mois : Quel regard portez-vous sur la situation des constructeurs automobiles ?

Nicolas Petit : Inévitable et prévisible. Depuis plusieurs années déjà, les constructeurs automobiles américains et européens sont confrontés à des surcapacités chroniques de production. Les grands constructeurs, dont Opel, produisent plus de véhicules qu'ils n'en vendent. Entre 25 et 35% des voitures produites resteraient sur le parking des usines, ce qui génère des coûts insupportables pour les entreprises. Malgré le succès du Salon de l'automobile 2010, la demande à moyen terme est insuffisante en Europe et aux Etats-Unis. Qui plus est, les mesures de prime à la casse qui ont artificiellement dopé les ventes pendant la crise ne sont pas éternelles. Les constructeurs doivent donc soumettre leur outil de production à une cure d'amincissement. Il y a quelques mois, General Motors, contraint à des mesures de restructuration d'envergure, avait laissé entendre qu'il vendrait sa filiale Opel à Magna International, l'équipementier canadien. A l'époque, le gouvernement allemand, dit-on, avait proposé au repreneur des aides publiques s'il maintenait les usines Opel en Allemagne. La Commission européenne avait réagi très rapidement, rappelant que cette pratique est interdite dans l'Union. La Commission, en effet, a pour ambition de favoriser un marché "efficace" en Europe et, dans cette optique, estime que les entreprises doivent prendre leurs décisions - notamment celles relatives à la localisation de leurs activités productives - uniquement en fonction de critères d'efficacité économique. Car conditionner l'octroi d'un subside au maintien d'activités sur le territoire corrompt la décision des opérateurs. Aujourd'hui, la décision est prise : le constructeur veut licencier plus de 8000 travailleurs en Europe et fermer l'usine d'Anvers dans les prochains mois. Le gouvernement allemand est-il intervenu ? Si tel est le cas, et que la Commission européenne n'en a pas été préalablement avertie, celle-ci pourra - par la voix du futur commissaire européen à la concurrence, Joaquin Almunia - demander au gouvernement allemand et à General Motors de rendre des comptes sur les circonstances de cette décision.

Le 15e jour : Comment expliquer alors que Kris Peeters lui-même avait proposé des subsides à l'entreprise pour maintenir les emplois à Anvers ?

N.P. : Confrontés à l'onde de choc sociale qu'une décision de ce type produit, les gouvernements - et les entreprises,- espèrent que la Commission européenne transigera avec les principes. Mais pour ma part, je ne le pense pas. Pourquoi ? L'Union européenne estime que ces ajustements industriels sont nécessaires à la compétitivité à long terme de l'Europe. La Commission est certes prête à accepter des aides au reclassement des employés ou à la réduction des surcapacités. Cependant, des subsides visant à maintenir en l'état les secteurs entiers de l'industrie lourde (comme la sidérurgie) constituent à ses yeux des mesures inefficaces d'acharnement thérapeutique. La Commission souhaite en vérité que l'économie européenne migre d'une économie profondément ancrée dans le secteur secondaire vers une économie de la connaissance, c'est-à-dire une économie de services innovante (internet, nouvelles technologies, etc.).

Reste à accompagner les travailleurs dans ces douloureuses phases de transition. Et si l'Union européenne espère des lendemains qui chantent, ce sont les gouvernements qui sont en prise directe avec le mécontentement des travailleurs.

PichaultFrancoisLe 15e jour du mois : Quel regard portez-vous sur la situation des constructeurs automobiles ?

François Pichault : Les spécialistes annonçaient depuis longtemps le déclin du secteur automobile en Europe. La main-d'œuvre est trop chère et l'activité d'assemblage peut maintenant se faire ailleurs, à moindre coût. Par ailleurs, tous les constructeurs se rendent compte que l'Europe demande moins de voitures qu'elle n'en produit.
Pour le secteur automobile, c'est un peu la "chronique d'une mort annoncée"... comme pour la sidérurgie d'ailleurs. En 2003, tout le monde avait loué la gestion exemplaire d'Arcelor qui avait annoncé la fermeture des hauts-fourneaux et la fin de la sidérurgie européenne à partir de 2006. Cette annonce fracassante avait eu le mérite de susciter beaucoup d'initiatives en matière de reconversion du personnel. Ensuite, Mittal a racheté Arcelor et, la conjoncture étant repartie favorablement, décidait de relancer les hauts-fourneaux. Pour les fermer ensuite. Cet exemple montre toute la difficulté qu'ont les entreprises à établir un plan stratégique à moyen terme.

Le cas d'Opel ne relève pas de la même démarche. General Motors a tergiversé, puis a révélé qu'il devait licencier plus de 8000 personnes sur le vieux continent. On a assisté alors à une réaction assez habituelle : le repli sur soi ! Les gouvernements allemand et anglais n'hésitant pas à faire du lobbying, c'est le maillon le plus faible qui souffre. Cette façon de faire est sans doute compréhensible, même si elle est assez éloignée de l'esprit du Traité de Rome.

Le 15e jour : Que peuvent faire les pouvoirs publics ?

Fr.P. : L'Union européenne a mis en place des conseils d'entreprise européens pour les entreprises ayant des activités dans deux pays d'Europe au moins. L'objectif étant d'instaurer une concertation sociale qui transcende les frontières. L'idée était généreuse mais le bilan est assez mitigé, car le réflexe national l'emporte souvent sur les autres considérations. Face aux décisions irrévocables des entreprises, les gouvernements n'ont donc d'autres alternatives que de préparer au mieux la reconversion. Reconversion du personnel licencié d'abord. Et à cet égard, je pense qu'une grande partie du personnel de l'usine d'Anvers retrouvera du travail rapidement parce qu'il s'agit d'une main-d'œuvre très qualifiée que d'autres secteurs industriels seront ravis d'accueillir. Pour les autres, il est évident que le gouvernement flamand va mettre en œuvre tous les dispositifs existants (cellules de reconversion, cellules de reclassement, etc.).

C'est aussi à la reconversion de la région, plus fondamentalement, qu'il faudra travailler. Le gouvernement doit détecter et favoriser les nouveaux secteurs économiques émergents, porteurs des emplois de demain : les services, la high tech, les biotech, etc. Nous devons impérativement anticiper les évolutions des prochaines années, même si ce n'est pas facile, ni pour le gouvernement, ni pour les entreprises.

Propos recueillis par Patricia Janssens

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