March 2010 /192

Pédagogie universitaire

Moi j'enseigne, mais eux apprennent-ils ?1

CarnolMoniqueDéjà en 1900, Lamarzelle écrivait : « Il y a (...) une sorte de crainte, de dédain, presque de mépris, à l'égard de la pédagogie. Il semble qu'il soit acquis qu'on naît professeur, qu'il n'y ait pas à apprendre ce métier-là. » J'ai perçu les idées reçues et l'état d'esprit dubitatif qui règnent autour de la pédagogie lorsque j'ai participé au master complémentaire en pédagogie de l'enseignement supérieur - Formasup, ULg2. Je souhaite rectifier : il ne faut pas avoir des problèmes - sous-entendu, être un mauvais enseignant - pour s'intéresser à la pédagogie ! Si certains ont plus de facilités de contact, de présentation, enseigner est actuellement bien plus qu'exposer ses connaissances : c'est un métier qui s'apprend. On peut s'étonner que, en Belgique, l'enseignant du niveau universitaire soit le seul ne requérant pas de titre pédagogique. Malgré certaines initiatives pédagogiques récentes3, le recrutement des professeurs et l'évolution de leur carrière se font essentiellement sur base de la valeur de leurs recherches. Il n'est par conséquent pas étonnant que peu d'enseignants universitaires prennent le temps d'un réel engagement pédagogique dans un agenda, par ailleurs, déjà surchargé.Vous l'aurez compris, j'en suis convaincue, le métier de chercheur est différent du métier d'enseignant et "enseigner" n'est pas synonyme d'"apprendre". Face à l'"amnésie" importante de nos étudiants d'une année à l'autre (et même d'un cours à l'autre), l'acquisition de connaissances sur ce qui fait apprendre me semble indispensable. Je pars donc du constat intuitif "il doit y avoir moyen de mieux faire". Mon intuition est appuyée par diverses études suggérant que les étudiants n'apprennent et/ou ne retiennent pas ce qu'ils devraient apprendre et ne seraient pas capables d'utiliser la théorie qu'ils ont apprise pour aborder des problématiques dans le monde réel.


1 Saint-Onge M., Moi j'enseigne, mais eux apprennent-ils ?, Laval, Beauchemin, 2000.

2 Carnol M., Concordance entre objectifs, méthodes actives et évaluation : impact sur les approches de l'apprentissage des étudiants. Portfolio professionnel, master complémentaire en pédagogie de l'enseignement supérieur, ULg, 2008 (voir le site http://hdl.handle.net/2268/31700).

3 Institut de formation et de recherche en enseignement supérieur (Ifres) : voir le site www.ifres.ulg.ac.be/portail/

J'ai donc découvert l'existence de la littérature pédagogique, même proche de ma discipline, et quantité d'informations sur internet. Il y a, bien sûr, des textes très théoriques, destinés aux purs pédagogues, mais également de nombreuses ressources, assez succinctes, au travers desquelles on peut se faire une première idée de diverses pratiques pédagogiques, de leur domaine d'application (grands groupes, petits groupes, etc.), ressources qui procurent des conseils très pragmatiques, directement applicables dans ses cours. J'ai ainsi analysé les nombreux facteurs - dont j'ignorais l'existence - qui peuvent influencer l'apprentissage des étudiants : triple concordance entre objectifs, méthodes et évaluation, métacognition (réfléchir sur son propre apprentissage) et importance des contacts enseignant-élève, de l'évaluation, etc.

"L'enseignant n'est pas un simple transmetteur de savoirs,
il est avant tout un concepteur de situations d'apprentissage"

Certains concepts me paraissaient trop théoriques, voire anecdotiques, mais les avis des étudiants dans plusieurs de mes cours confortent la majorité d'entre eux. J'ai également exploré des techniques d'enseignement très variées, dont certaines ne nécessitant que peu d'investissement en temps. Je me suis particulièrement penchée sur les concepts d'apprentissage en surface et en profondeur, ainsi que sur les méthodes dites "actives". Ces méthodes, centrées sur l'activité des étudiants, sont reconnues comme facteur motivationnel important, favorisant une meilleure rétention de la théorie et améliorant le transfert des connaissances (à d'autres situations que celles abordées aux cours). Il faut cependant nuancer : les méthodes actives ne conviennent pas à tout le monde (ce qui est d'ailleurs vrai aussi pour les enseignants). La variété des méthodes (études de cas, exposés actifs, discussions, analyse de données, etc.) au sein d'un cours ou d'un cursus s'est avérée essentielle dans mon projet et devrait donc être maintenue.

Au départ, je voulais donc "faire un peu de pédagogie". J'étais loin d'imaginer l'investissement nécessaire, la complexité des théories sur les apprentissages qui font appel à plusieurs concepts théoriques interdépendants, la difficulté de mise en pratique de la théorie et la quantité de ressources disponibles. Même si l'expérience était extrêmement consommatrice en temps, elle s'est avérée très enrichissante au niveau professionnel et personnel. Le feedback, extrêmement positif, des étudiants m'encourage à poursuivre dans cette voie. Malheureusement, un investissement pédagogique est aujourd'hui structurellement très difficile pour la plupart des professeurs, principalement par manque de temps. Cependant, la qualité de l'enseignement, enjeu décisif dans le contexte de concurrence des universités européennes, passe, à mon avis, par le support institutionnel de la formation pédagogique des enseignants universitaires.

Monique Carnol, chargée de cours
département des sciences et gestion de l'environnement

 

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