Juin 2010 /195

Faire parler la poudre

Le laboratoire Gemme caractérise les particules par analyse d’images

Imaginez des domaines aussi éloignés que le monde pharmaceutique, l’agro-alimentaire ou la construction. Gros secteurs, gros défis mais aussi gros problèmes avec l’infiniment petit. Qu’il s’agisse d’un médicament, d’un nouveau mortier ou d’un carré de sucre, la matière est souvent réduite à sa plus simple expression : le grain. Comprendre et caractériser au plus près la moindre particule s’avère donc un enjeu primordial.

« On pourrait croire que la recherche sur le béton a cessé d’évoluer, fait observer le Pr Eric Pirard, de la faculté des Sciences appliquées. Or, c’est précisément l’inverse, elle n’a jamais été aussi active depuis une vingtaine d’années, et les progrès réalisés sont remarquables. Mais comme ces recherches restent relativement discrètes, l’innovation passe souvent inaperçue. » Pourtant, la distribution de la taille et de la forme des grains microscopiques a un impact majeur sur la propriété des matériaux qu’ils composent. « Dans le cas d’un comprimé d’aspirine, le but est d’agglomérer solidement des grains dans un petit volume. Même chose pour le ciment où l’on essaie d’agir sur la forme même des grains pour que leur compaction soit la plus optimale possible et le béton résultant le plus solide possible. » Mais avant d’intervenir sur la forme du grain, encore faut-il pouvoir la caractériser précisément. Pas évident lorsqu’on travaille sur une échelle graduée en microns !

Trois dimensions
Le laboratoire Gemme-Mica (géoressources minérales et imagerie géologique) du Pr Eric Pirard est l’un des pionniers dans le domaine de la granulométrie, soit la caractérisation des particules par analyse d’images. A l’aide de caméras de très haute résolution et d’algorithmes spécifiques, ce laboratoire est capable d’aborder les multiples définitions de la taille et de la forme d’une particule. « Jusqu’à présent, seule l’analyse d’images en deux dimensions était réalisable, mais nous sommes parvenus à mettre au point dans le cadre d’un projet First Post-Doc POW3D un premier prototype de caractérisation tridimensionnelle, ce qui offre des perspectives de caractérisation extrêmement intéressantes dans de nombreux domaines », poursuit Eric Pirard.

Revenons au ciment. Grosso modo, il est avant tout un empilement de particules broyées qui sont loin d’être de petites sphères parfaites. Au contraire, chacune possède une forme particulière et irrégulière. Si on parvient à maîtriser cette forme et la taille de ces particules de manière précise, on peut optimiser la compacité et donc la résistance du béton fabriqué à partir de ce ciment, grâce aux grains qui se mélangeront beaucoup plus intimement les uns aux autres : « Si par ailleurs on parvient à substituer certaines particules de ciment par d’autres, on limitera aussi la quantité de matière nécessaire pour construire un ouvrage. » Ceci ouvre d’autres voies de recherches en développement durable, largement explorées par le groupe matériaux de construction (Pr Luc Courard) au sein du même secteur Gemme.

De ce savoir et de cette expérience, le laboratoire tire une légitime fierté mais surtout une renommée internationale qui lui vaut de compter parmi les six laboratoires au monde intégré dans IFPRI, consortium international réunissant de grands noms de l’industrie comme Merck, Pfizer, Unilever, Lafarge ou encore Procter et Gamble. Toutes ces entreprises travaillent dans des domaines tellement différents qu’elles ne sont pas vraiment concurrentes. Pourtant, elles rencontrent exactement les mêmes problèmes au niveau de leurs processus de production et ont donc décidé, de manière très pragmatique, de mettre sur pied un organisme commun chargé de faire avancer la recherche dans le domaine des nanopoudres en soutenant différentes unités de recherche. « Qu’il s’agisse de problèmes d’écoulement, de cristallisation, de compression, ces différents secteurs doivent faire face aux mêmes contraintes liées aux très fines particules, constate Eric Pirard. Plutôt que d’avancer individuellement, leur démarche, très anglo-saxonne, consiste en un soutien commun de six laboratoires dans le monde qui travaillent précisément sur ces matières. »

Mise en commun
Une fois par an, tous les membres d’IFPRI se réunissent pour partager leurs expériences et cette année, après Santa Barbara, Perth et Détroit, c’est au tour de Liège de faire office d’hôte de marque. Nouveauté par rapport aux éditions précédentes qui se tenaient à huis clos, une journée ouverte sera organisée le 30 juin, permettant aux chercheurs et doctorants qui le souhaitent de présenter leurs travaux. « On a voulu intégrer le plus de monde possible autour de cet événement, car l’opportunité est réelle pour tous les laboratoires de l’Université de se faire connaître », conclut le 
Pr Eric Pirard. L’appel est donc lancé.

François Colmant

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