November 2010 /198
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Les conséquences du réchauffement climatique sur l’agriculture

3 questions à Bernard Bodson

BodsonBernardBernard Bodson est professeur dans l’unité de phytotechnie des régions tempérées et directeur de la ferme expérimentale à Gembloux Agro-Bio Tech-ULg.

Après l’échec du sommet de Copenhague, tous les espoirs reposent à présent sur la conférence de Cancun qui se tiendra du 29 novembre au 12 décembre prochains. L’ambition de cette grand-messe orchestrée par les Nations unies est de préparer un traité qui succédera au protocole de Kyoto et dont l’objectif sera, une fois encore, la diminution de la production de gaz à effets de serre.

En 2003 déjà, l’Institut national de recherche agronomique français observait les conséquences du réchauffement sur les milieux agricoles et naturels. Certaines constatations étaient étonnantes. Par exemple : le doublement du CO2 sur une prairie du Massif central provoque une augmentation des rendements de la prairie, de l’ordre de 10 à 15%, grâce à l’augmentation de la photosynthèse. Cela permettra, outre d’allonger la saison de pâturage, d’augmenter la densité d’animaux par hectare.

Les observations réalisées sur les grandes cultures révélaient aussi une tendance au raccourcissement des cycles et à une augmentation de la vitesse de croissance. La date des vendanges sera-t-elle avancée ? La récolte d’abricots est déjà prévue quelques jours plus tôt dans le sud-est de la France. Mais la précocité des récoltes augmente les risques liés au gel printanier… C’est pour évoquer ces conséquences bien concrètes du réchauffement climatique que Le 15e jour du mois a rencontré le Pr Bernard Bodson.

Le 15e jour du mois : L’agriculture contribue-t-elle au réchauffement climatique ?

Bernard Bodson : Le réchauffement climatique n’est plus contesté à présent. De très nombreuses études scientifiques l’ont démontré. Depuis 1990 environ, la température moyenne augmente. Dans notre ferme, nous constatons aussi que les récoltes de blé sont de plus en plus précoces : à Gembloux, elles ont maintenant lieu en moyenne huit jours plus tôt.
L’agriculture a-t-elle une responsabilité dans l’émission de gaz à effet de serre et donc dans cette hausse des températures ? La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît. Si la gestion des cultures est correcte et compte tenu de l’ensemble du cycle de la plante, je pense que notre système est proche de l’équilibre. Je m’explique. Dans une culture de blé, trois processus génèrent des émissions du CO2 : les organismes du sol en dégradant la matière organique, la plante en période de croissance, les tracteurs et la fabrication des engrais azotés. Ce dernier processus constitue environ 10 à 15% du CO2. Cependant, le blé lui-même fixe par la photosynthèse de grandes quantités de CO2 à la fois dans sa partie aérienne (grain et paille) et dans son système racinaire qui restera dans le sol. Le bilan net partiel est dès lors positif : la culture capture environ six tonnes de carbone par an et par hectare.

Mais le grain et la paille sont consommés par les hommes et les animaux, lesquels réémettent le carbone. D’autre part, dans le cadre d’une gestion agronomique durable, on réincorpore dans le sol la paille de la litière et les déjections animales (qui fertilisent le sol). Par ailleurs, les animaux mangent le végétal qui a stocké du CO2. Cette activité permet notamment de produire des veaux, du lait, de la viande et aussi du cuir et des fertilisants organiques. Chez les ruminants, une petite partie du carbone consommé est réémis sous forme de méthane via l’éructation des animaux. Etablir le bilan carboné de l’activité agricole est donc assez compliqué puisqu’il faut étudier les cycles dans leur globalité. Gare aux simplifications ! L’agriculture est un processus très sophistiqué, avec des interactions très nombreuses.

Le 15e jour : A-t-on fait des progrès afin de diminuer le rejet de gaz carbonique ?

B.B. : Aujourd’hui, grâce aux conseils des scientifiques, les agriculteurs gèrent mieux les apports d’éléments nutritifs dont les cultures ont besoin pour croître. L’utilisation parcimonieuse des engrais et des restitutions de matières organiques permet de diminuer les pertes en nitrates d’une part et les rejets de N20 d’autre part. Et il faut noter que cette évolution n’a pas eu d’effets négatifs sur les rendements; au contraire, ceux-ci continuent à progresser, ce qui est capital puisque plus la production de biomasse est élevée, plus la capture du CO2 est grande.

Le 15e jour : Ces adaptations suffiront-elles pour faire face au changement climatique?

B.B. : Même si la prédiction d’une hausse des températures de 2 degrés en 2050 se réalise, je reste confiant. Chez nous du moins. Grâce à la sélection de nouvelles variétés, processus qui dure une dizaine d’années et qui permet d’inclure les effets de l’évolution climatique, les plantes comme le blé, la betterave ou la pomme de terre s’adapteront aux conditions de culture. Les variétés cultivées en 2050 ne seront pas celles que nous connaissons aujourd’hui. Par contre, dans le sud de l’Europe, au Maghreb et en Afrique subsaharienne surtout, la rareté des précipitations conjuguée avec les excès de températures provoqueront des dégâts plus dramatiques dans les cultures.

Enfin, à l’avenir – et je sais que je vais en décevoir plus d’un – il n’est pas certain que les oliviers fleuriront en terre wallonne… Car une culture ne dépend pas uniquement des conditions de températures; elle est aussi tributaire du régime des précipitations, de la photopériode, de la composition des sols, etc. Tous ces paramètres interviennent dans l’adaptation d’une plante. Le tournesol, par exemple, pourrait être semé chez nous. Mais en cas de périodes humides prolongées au moment de la récolte en fin d’été – ce qui peut arriver ! –, les maladies dues à des champignons dégradent la qualité des graines et surtout de l’huile qu’elles contiennent avant d’être récoltées.

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photo : J.-L. Wertz

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