Novembre 2010 /198

Dépression saisonnière

Les nuages s’amoncellent, les températures baissent, le temps maussade s’installe et nous venons de “repasser’’ à l’heure d’hiver. Plusieurs études ont montré que le raccourcissement du jour rend morose et que, dans certains cas, cela provoque ce que l’on appelle la “dépression saisonnière’’. Gilles Vandewalle, chargé de recherches FNRS au Centre de recherches du cyclotron (ULg), et Anne-Marie Etienne, chef de travaux en faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, ont approché le problème.

VandewalleGillesLe 15e jour du mois : L’influence de la lumière sur nos émotions est-elle scientifiquement prouvée ?

Gilles Vandewalle : Pas directement jusqu’il y a peu. Nous sommes tous conscients du fait qu’une belle journée ensoleillée peut améliorer notre humeur. Inversement, une semaine de grisaille fait perdre le moral, particulièrement en hiver. On pense donc que la lumière influence l’humeur, mais on ne sait pas comment. Avant de nous attaquer directement à cette question, nous avons lancé au Centre de recherches du cyclotron – en collaboration avec des chercheurs de l’université de Genève et celle du Surrey en Angleterre – une étude sur l’effet immédiat de la lumière et de sa couleur, sur le traitement émotionnel cérébral*, car l’humeur est intimement liée aux émotions.

En utilisant l’imagerie par résonance magnétique cérébrale (IRM), nous avons montré que la couleur de la lumière ambiante influence la manière dont le cerveau traite les stimulations émotionnelles. Dans notre rétine, à côté des cônes et des bâtonnets bien connus, il existe un troisième récepteur particulièrement sensible à la lumière bleue. Ce récepteur ne sert pas à la vision mais détecte le niveau de lumière ambiant. Cette information permet de synchroniser notre horloge biologique interne avec l’alternance entre le jour et la nuit; elle permet aussi  d’augmenter directement notre niveau de vigilance (on se sent plus éveillé dans une pièce bien éclairée que dans le noir).

Notre avons décidé de voir si le système de photoréception sensible au bleu affectait aussi les émotions. Nous avons enregistré l’activité cérébrale de volontaires sains qui écoutaient des sons négatifs (émotionnels) ou neutres pendant qu’ils étaient éclairés tour à tour par une lumière bleue ou verte. Et nous avons découvert – en résumé ! – que l’organisation fonctionnelle des régions du cerveau qui traitent l’information émotionnelle est très affectée par la lumière bleue.

Le 15e jour : Cette découverte permettra-t-elle de soigner les personnes dépressives ?

G.V. : Ces premiers résultats sont importants pour la compréhension des mécanismes qui sous-tendent l’effet de la lumière ambiante sur l’humeur. Ils montrent aussi qu’un environnement lumineux adéquat fait partie des bonnes conditions de travail et qu’il est loin d’être anecdotique. Améliorer la qualité de l’éclairage pourrait nous aider à nous sentir plus éveillé et de meilleur humeur au travail et, par conséquent, à mieux travailler aussi bien pendant la journée que pendant la nuit. Cela a d’ailleurs été montré par quelques études, mais nous avons maintenant une preuve objective que quelque chose se passe effectivement dans le cerveau!

Actuellement, nous réalisons une expérience qui vise à voir si la lumière bleue modifie aussi le traitement émotionnel cérébral chez un patient dépressif et dans quelle(s) région(s) du cerveau. Notre objectif à plus long terme est en effet de comprendre comment la lumière peut modifier l’humeur pour améliorer notamment le traitement de maladies psychiatriques par luminothérapie. Cela se déroulera sur plusieurs années, mais certaines firmes cherchent déjà à isoler le bleu du spectre lumineux dans leur appareil de luminothérapie.

* Gilles Vandewalle et al, “The spectral quality of light modulates emotional brain responses in humans”, dans Proceedings of the National Academy of Science of the USA, octobre 2010.

Voir l’article à paraître sur www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Vivant/médecine)

EtienneAnneMarieLe 15e jour du mois : Constatez-vous une demande plus forte de consultations psychologiques en automne ?

Anne-Marie Etienne : Indéniablement. Il y a deux “pics” dans les consultations psychologiques : l’automne et le printemps, les deux saisons de transition. Objectivement, l’arrivée de l’automne se caractérise par une moindre luminosité. La nature se repose et nous invite à le faire… Si pour la plupart des gens la conjugaison du lever dans le noir et du retour à la maison dans le noir affectent un peu l’humeur, chez certains individus plus sensibles, le “ralentissement moteur” est patent et conduit parfois à des troubles psychologiques. La perte de luminosité, la baisse des températures, la pluie…, tout invite à un moral dans les talons dès que l’automne pointe le bout du nez.

D’un point de vue biologique, on sait que la lumière agit sur notre horloge interne et sur la production de sérotonine, laquelle régule notre humeur. Si la lumière naturelle comporte des activateurs, il est normal de ressentir une baisse d’activité lorsqu’elle est défaillante, soit, dans nos contrées, en automne, en hiver, le soir, etc. A contrario, les statistiques nous montrent qu’il y moins de dépressions dans le sud de la France que dans le nord. L’ensoleillement plus important explique très probablement ce constat. D’autant que la douceur du climat est aussi propice à la douceur de vivre et aux contacts sociaux indispensables pour une santé psychologique équilibrée.

Sachant que l’homme fonctionne au rythme de l’alternance jour/nuit, il a, depuis la nuit des temps, organisé ses activités en fonction du soleil. Dans nos sociétés modernes – qui bénéficient de la lumière artificielle –, nous avons réussi à déjouer la tombée de la nuit mais notre rythme biologique nous rappelle à l’ordre : notre plus grande rentabilité se situe le matin. C’est bien la raison d’être du récent “passage à l’heure d’hiver” : gagner une heure de luminosité le matin.

Le 15e jour : La psychologie soigne-t-elle les dépressions saisonnières à l’aide de  la lumière ?

A-M.E. : Cela fait partie du traitement. La reconnaissance du malaise, du mal-être, exprimé par le patient est importante. Expliciter la composante objective de la dépression et faire prendre conscience qu’elle est saisonnière constitue aussi une démarche salutaire pour le malade, lequel sera plus à même ensuite de se préparer à cette baisse de moral récurrente. Contrer la dépression saisonnière, c’est maintenir nos activités et favoriser tout ce qui nous rend heureux : c’est “s’occuper de soi”. En ce sens, la luminothérapie joue positivement deux fois : d’une part, en apportant de la lumière et d’autre part, en se recentrant sur soi.

De façon plus générale, lors des consultations, nous essayons de mettre en place des modus operandi en guise de garde-fou. Changer son angle de vue sur la saison, par exemple, en est un : plutôt que de s’énerver sur la grisaille, apprécier les journées de soleil et les couleurs des arbres ; savourer le moment de pause, de repos nécessaire à notre équilibre en est un autre. Il y a toujours plusieurs façons de regarder les choses, avec un filtre positif ou négatif. L’exemple du verre à moitié vide ou à moitié plein est parlant ! S’efforcer d’adopter une attitude positive dans l’ensemble peut aider à passer le cap difficile de la saison humide et plus froide.

Propos recueillis par Patricia Janssens

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