Décembre 2010 /199

Le rendez-vous des étoiles

Une occultation visible grâce à Trappist

ESO02« Dans la nuit du 6 novembre, j’ai été informé de la possibilité de l’occultation d’une étoile de la constellation de la Baleine par la planète naine Eris*, raconte l’astronome liégeois Emmanuël Jehin, en pleine observation de la comète Hartley 2 à l’observatoire de Paranal au Chili (ESO VLT). C’était un phénomène hautement improbable en raison de la coïncidence extraordinaire qui devait exister entre la position des deux corps célestes (équivalant à un timbre-poste vu à 100 km de distance !). Ce fut pour moi un grand moment de voir l’étoile que je suivais depuis une demi-heure disparaître de l’écran de l’ordinateur pendant 30 secondes, masquée par Eris… avant de la voir réapparaître ! J’ai été le premier à rapporter l’occultation avec notre télescope liégeois Trappist (Transiting Planets and Planetesimals Small Telescope), installé à l’observatoire de La Silla au Chili**. »

Observation exceptionnelle

Jamais une occultation stellaire par un corps aussi lointain du système solaire n’avait été observée. Même si ce rendez-vous avait été prédit, les prévisions restaient entachées d’une grande marge d’incertitude, due à une connaissance trop approximative de l’orbite d’Eris et de la position de l’étoile. Il ne faut pas oublier que ce tout petit corps glacé gravite à 14 milliards de km du Soleil, soit près de trois fois plus loin que Pluton. Ce genre d’observation est une des façons les plus précises pour obtenir la taille des astéroïdes et autres petits corps du système solaire.

ESO01La nuit de l’occultation, plusieurs astronomes étaient au rendez-vous, dans l’espoir d’observer l’alignement Terre-Eris-étoile. Seuls quelques-uns, au Chili, ont été récompensés. « Trappist était au bon endroit au bon moment, et parfaitement réglé pour réussir cette observation, se plaît à dire Emmanuël Jehin. Je n’étais pas sur place mais cela ne m’a pas empêché de piloter le télescope à distance, avec mon ordinateur portable ! Cette souplesse dans la manipulation est vraiment unique. » Trappist est le nom très belge donné à un projet développé par l’équipe du Pr Pierre Magain avec l’astronome Michaël Gillon, du département d’astrophysique, de géophysique et d’océanographie de l’ULg, projet mené en étroite collaboration avec l’Observatoire de Genève. Principalement financé par le FNRS, ce télescope de 60 cm dédié aux exoplanètes et aux comètes a été installé en juin dernier et vient de démarrer officiellement ses opérations, le 1er novembre 2010.

Quelques heures après l’observation d’Emmanuël Jehin, deux autres équipes d’astronomes, localisées à San Pedro de Atacama (à 700 km de la Silla), annonçaient également une occultation positive. Ces trois jeux d’observations, combinées aux observations négatives en Argentine, vont permettre une nouvelle estimation de la taille d’Eris avec une précision inédite : les premières analyses indiquent un diamètre inférieur à 2320 km, alors que celui de Pluton est compris entre 2360 et 2380 km. Eris serait donc un peu plus petit que Pluton…

Tout petit la planète

Voilà qui ne va pas manquer de réalimenter la polémique qui a fait perdre à Pluton son statut de “planète” en 2006. En effet, selon les premières observations d’Eris en 2005, les chercheurs avaient estimé son diamètre entre 2400 et 3000 km. Bref, Eris semblait plus grand que Pluton, alors considéré comme la plus petite planète du système solaire. Cette découverte d’un corps plus gros a donné lieu à une polémique qui a abouti à la redéfinition de la planète par l’Union astronomique internationale. Ainsi, considéré pendant plusieurs mois comme la dixième planète du système solaire, Eris a alors été déclassé, comme Pluton, pour se retrouver au nouveau rang de “planète naine”. L’ironie veut qu’avec l’occultation stellaire du 6 novembre, Pluton redevienne le plus gros des objets situés au-delà de l’orbite de Neptune. « Ce qui est amusant, reprend notre astronome, c’est que si j’avais fait cette observation avant 2006, peut-être que Pluton serait toujours considérée aujourd’hui comme une planète puisque la révision de la définition des planètes n’aurait sans doute pas été entreprise sans cette bonne occasion. » Décidément, Eris porte bien son nom emprunté à la déesse de la discorde…

Elisa Di Pietro

* Eris a été découverte en 2005 bien au-delà de l’orbite de Pluton et a été appelée durant plusieurs mois Xéna ou encore la “dixième planète” en raison de sa taille, plus grosse que la dernière planète du système solaire, Pluton.
** E. Jehin, J. Manfroid, M. Gillon, D. Hutsemekers, and P. Magain, “Occultation by (136169) Eris”, 2010 IAUC 9184.

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