Mai 2011 /204

Les œstrogènes, maîtres de la différenciation sexuelle du cerveau

Alors que les tabous autour de la sexualité tombent les uns après les autres depuis la fin du XXe siècle, le transexualisme reste relativement réprimé dans les sociétés occidentales. En effet, il y est souvent considéré comme une simple excentricité. Et pourtant, le transexualisme est une réelle discordance entre l’identité de genre et l’identité de sexe ressentie d’un individu. Pourquoi certaines personnes, tout à fait normales anatomiquement parlant, ont-elles le sentiment d’appartenir à l’autre sexe ? L’origine de ce trouble est encore mal connue à l’heure actuelle. Une des pistes suivies par les scientifiques est le rôle des hormones sexuelles au cours du développement embryonnaire. Celles-ci seraient impliquées dans la différenciation sexuelle du cerveau humain et programmeraient l’identité et l’orientation sexuelle d’un individu dès le stade embryonnaire.

Mâle ou femelle : testostérone ?

Selon la théorie classique, les différences sexuelles au niveau du cerveau des mammifères et de leurs comportements se développent sous l’influence des hormones gonadiques au cours du développement embryonnaire. Ainsi, le cerveau masculin évoluerait comme tel sous l’action de la testostérone secrétée par les testicules. En réalité, pour induire cette masculinisation du cerveau, la testostérone doit paradoxalement être transformée en œstradiol – hormone de la catégorie des œstrogènes, considérée comme la véritable hormone femelle – par une enzyme appelée “aromatase”. « Chez les femelles, par contre, les ovaires ne sont pas actifs pendant le développement prénatal. Il n’y a donc pas de sécrétion d’hormones sexuelles », explique Julie Bakker, chercheur qualifié FNRS qui travaille dans l’unité de recherche en neuroendocrinologie du comportement du Giga. La théorie classique soutient donc l’hypothèse qu’en présence de testostérone au stade embryonnaire, le cerveau se masculinise mais en l’absence de cette hormone, les caractéristiques neurobiologiques et comportementales femelles se développent alors “par défaut”.

Lors de précédentes études, Julie Bakker avait mis le doigt sur un détail qui était en contradiction avec cette théorie. En effet, chez des souris transgéniques ArKO, c’est-à-dire chez lesquelles l’enzyme aromatase était supprimée, les mâles adoptaient à l’âge adulte un comportement de mâles castrés – ce qui reste en ligne avec la théorie classique – mais les femelles de cette lignée montraient également des comportements sexuels anormaux. Ces résultats suggéraient donc que l’œstradiol joue un rôle dans la différenciation sexuelle du cerveau féminin. Pour en avoir le cœur net, Julie Bakker a creusé cette piste un peu plus loin.

Dans un article récemment publié dans The Journal of Neuroscience*, la chercheuse et ses collaborateurs décrivent les expériences qui leur ont permis de confirmer l’importance des œstrogènes pour le développement du cerveau féminin. Ils sont parvenus à corriger le déficit de comportement sexuel chez les souris femelles ArKO grâce à un traitement à l’œstradiol. Point important à souligner, aux dires de Julie Bakker, « ce traitement est efficace après la naissance des souris femelles ArKO et non avant. Plus précisément, nous sommes arrivés à corriger le comportement sexuel des femelles ArKO lorsque le traitement était administré peu avant la puberté de ces animaux. » Selon cette dernière, au vu de ces nouveaux résultats, la théorie classique de la différenciation sexuelle du cerveau des mammifères devrait être révisée. Comme la masculinisation, la féminisation du cerveau serait elle aussi sous l’influence d’hormones sexuelles et ne se produirait pas “par défaut”.

Théorie à revoir

De plus, comme le montrent ces travaux, alors que le développement du cerveau masculin se déroule au cours de la période prénatale, celui du cerveau féminin a lieu pendant la période postnatale. Ces informations sont précieuses puisque la plupart des études sur la différenciation sexuelle se sont focalisées jusqu’ici sur la période prénatale. Pour mieux comprendre le développement du cerveau féminin, les scientifiques devront donc dorénavant tenir compte du rôle des hormones sexuelles après la naissance des modèles femelles étudiés. Peut-être est-ce là que réside la clé du mystère de l’identité sexuelle féminine ?

Audrey Binet


Voir l’article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Vivant, biologie)

Brock O, Baum MJ, Bakker J (2011), “The development of female sexual behaviour requires prepubertal estradiol”, The Journal of Neuroscience 31 (15):5574-5578

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