Novembre 2011 /208

Ernest de Bavière : l’automne flamboyant de la Renaissance à Liège

Ernest01Moins connu que Notger, Erard de la Marck ou Velbrück, Ernest de Bavière, prince-évêque de Liège de 1581 à 1612, est pourtant le premier prince Wittelsbach des Temps modernes dans notre Principauté. C’est que le personnage sent le souffre. Homme politique très influent, défenseur de la catholicité en un temps marqué par les guerres de religion, c’est un évêque peu orthodoxe : il s’affiche ici et là avec des maîtresses et il légitime ses enfants. Controversé hier, il l’est encore aujourd’hui. Et pourtant son “règne” marque une étape importante pour la Principauté de Liège qui entre avec lui dans l’époque moderne.

« Plusieurs grandes expositions à Liège ont retracé l’histoire de la Principauté, explique Robert Halleux, président du Centre d’histoire des sciences et des techniques (CHST) de l’ULg. En 1966, ce fut “Lambert Lombard”, en 1968 “Liège et la Bourgogne”, en 1975 “Le Siècle de Louis XIV”, en 1980 “Le Siècle des Lumières” et en 2001 “Vers la Modernité”, mais la fin de la Renaissance n’a jamais été évoquée. » Le 400e anniversaire de la mort d’Ernest de Bavière vient à point nommé pour mettre fin à cet oubli et réparer une injustice : l’exposition “Ernest de Bavière, 1581-1612. Un prince-évêque liégeois dans l’Europe moderne” ouvrira ses portes le 17 novembre prochain.

Contacté par le CHST sis en Outremeuse– que dirigent Robert Halleux et Geneviève Xhayet –, Jean-Pierre Hupkens, échevin de la Culture, a été d’emblée séduit par le projet. Logiquement, il a proposé le musée Curtius comme cadre de l’exposition et son conservateur Jean-Marc Gay, comme scénographe. « Le choix du contenu de l’exposition et celui des pièces exposées relèvent du Centre », précise Robert Halleux. Le catalogue sera également conçu et mis en page place Delcourt avec le concours d’auteurs “maison” : outre Geneviève Xhayet et Robert Halleux, le Pr Jean-Patrick Duchesne, Annick Delfosse et Emilie de Corswarem ont participé à la rédaction du livre qui sera abondamment illustré*.

Un rempart contre la Réforme

« Fils du duc de Bavière Albert V, Ernest de Bavière est d’abord un prince, un homme politique avant d’être un évêque, affirme Annick Delfosse, chargée de cours au département des sciences historiques. Véritable pion placé par son père pour empêcher la propagation du protestantisme, il fut non seulement prince-évêque de Liège, mais encore archevêque- électeur de Cologne, prince-abbé de Stavelot, évêque de Freising, Hildesheim et Munster… » Défenseur du Concile de Trente, celui qui dirigea la Principauté pendant 30 ans ressemble assez peu cependant au nouveau modèle de l’évêque prescrit à Rome (et dont Charles Borromée, archevêque de Milan, fut le parangon). « Contrairement au concile qui impose en effet au prélat de résider dans son évêché, Ernest de Bavière s’absente la plupart du temps de ses diocèses qu’il confie à des évêques suffrageants ou à des vicaires généraux, reprend la chercheuse, spécialiste de l’histoire moderne. A Liège, c’est à l’humaniste et poète Laevinus Torrentius qu’il délègue ses responsabilités épiscopales, puis à Thierry de Lynden et Jean Chapeaville. Tous lui reprochent d’être un prince-évêque trop lointain : le sage Torrentius, en particulier, lui adressera plusieurs remontrances indignées. »

Si Ernest cumule les bénéfices et n’a pas peur de s’écarter de la règle du célibat des prêtres, il reste pourtant activement soutenu par un Saint-Siège persuadé de son rôle-clé dans le renouveau catholique aux frontières allemandes. Dès son élection, il renforce à Liège la législation antiprotestante. « Malgré la fronde du clergé liégeois réfractaire aux décrets tridentins, il réussit à ériger le séminaire que ses prédécesseurs avaient échoué à mettre en place et inaugure le Collège liégeois à Louvain. Sous son épiscopat, enfin, la Compagnie de Jésus s’installe confortablement dans la cité : elle y dispense les “humanités” et accueille entre ses murs les enseignements théologiques du séminaire, relate Annick Delfosse, comme quoi son appétence pour la chose publique ne le conduit pas à négliger ses charges religieuses. »

Homme de sciences et entrepreneur

Après une formation chez les jésuites à Rome, Ernest de Bavière mène des recherches en mathématique et s’implique personnellement dans le développement des sciences et techniques. Ami de Galilée, de Kepler, il s’intéresse à l’astronomie et fait fabriquer des astrolabes à Liège, grâce à la technique du laiton bien maîtrisée dans la Principauté. Il favorisa l’enseignement supérieur sur ses terres : on lui doit le bâtiment du Collège des jésuites (actuelle place du 20-Août) en 1582, la création du Grand séminaire en 1592 et du collège liégeois à Louvain en 1605. Seul son projet de construire une Université se heurta à l’opposition farouche de Louvain.

Entouré d’humanistes tels que Juste Lipse, Ernest nourrit aussi une passion pour Paracelse et l’alchimie, discipline très en vogue à l’époque de la Renaissance. Si l’un des buts de l’alchimie est la transmutation des métaux en or, l’autre objectif est la prolongation de la vie. La médecine est donc au cœur de l’œuvre de Paracelse et particulièrement favorisée par Ernest de Bavière. « Dans le domaine médical et de la bienfaisance, l’institution emblématique de son règne est certainement l’hôpital établi dans un de ses palais, la “Maison Porquin”, située sur l’actuelle place de l’Yser en Outremeuse », détaille Geneviève Xhayet. C’est l’origine de l’hôpital de Bavière qui a gardé son nom. Au départ, on trouve une confrérie fondée en mars 1602 par de riches bourgeois de Liège et placée sous le patronage du prince-évêque : la “Confrérie de Miséricorde”. « D’un point de vue philosophique et scientifique, explique la chercheuse, cet hôpital se situe dans l’héritage de la philosophie médicale de Paracelse qui n’admet l’exercice de la médecine qu’à titre gratuit. » L’intérêt pour le thermalisme provient aussi de la même doctrine qui établit un lien étroit entre semence des métaux et apparition d’eaux minérales.

Ernest de Bavière fut, par exemple, un ardent défenseur des eaux de Spa dont il a fait réaliser des analyses pour caractériser ses vertus. « Les sources du pays de Liège étaient déjà connues de Pline l’Ancien (Ier siècle de notre ère), rappelle Geneviève Xhayet, mais elles furent délaissées au Moyen Age. En 1559, Gilbert Fusch dit Lymborgh, un médecin d’origine allemande installé à la cour de Liège, avait déjà évoqué les fontaines acides de la forêt d’Ardenne, et notamment celles de Spa. » Plus tard, par une analyse sensorielle (par le goût, la couleur, l’odeur), progressivement affinée grâce à la distillation, les médecins liégeois établissent la composition des eaux en minéraux. Tous les curistes, cependant, n’allaient pas à Spa : dès la fin du XVIe siècle, l’exportation de l’eau du Pouhon se fait grâce à la mise en bouteilles, jusqu’en Angleterre, en Hollande, en France, en Germanie et en Italie. En termes de renom international pour le pays de Liège, Spa joue un rôle de premier plan. La Maison de Miséricorde et le thermalisme spadois illustrent certainement une même volonté princière de modernité médicale. « Mais celle-ci s’inscrit également dans le contexte de Contre-Réforme qui favorise le développement des associations religieuses sous le contrôle des autorités, lesquelles participent à la mission de reconquête des esprits », conclut Geneviève Xhayet.

Toutes ces recherches ont eu aussi des répercussions industrielles. « Ernest de Bavière et les scientifiques qu’il fréquente et soutient ont travaillé sur les propriétés du soufre, du vitriol, des acides minéraux, de l’alun, etc., précise Robert Halleux. Capitaine d’industrie avant l’heure, le prince-évêque parie sur l’importance des mines et des hauts-fourneaux ; il s’investit dans la création de sociétés par actions ; il lance un prix pour les inventeurs. » C’est aussi l’époque des nouvelles armes et de la poudre à canon qui feront la fortune de Jean De Corte, dit Curtius.

Des traces dans la cité

Décidé à préparer la cité mosane au siècle de Descartes et de Louis XIV, Ernest de Bavière n’en est pas moins homme de la Renaissance, pétri de culture : il parle plusieurs langues et est un grand amateur de musique (comme l’a montré Emilie Corswarem dans sa thèse de doctorat). Il convoque des musiciens à sa cour… et pas uniquement pour de la musique religieuse : sa cour est une cour galante, bien éloignée de celle Ferdinand de Bavière qui lui succéda. Ernest de Bavière et ses contemporains s’investissent aussi dans les arts : le paysage actuel de la Cité ardente lui doit quelques beaux monuments tels que le palais Curtius (qui accueille l’exposition et en est la pièce maîtresse), le Collège des jésuites l’hôtel Torrentius, et la maison Havart du quai de la Goffe.

Patricia Janssens
Photo : Portrait D'Ernet de Bavière, Châteaus d'Augustusburget de Falkenlust de Brühl. H. Gummersbach.

* Ernest de Bavière (1554-1612) et son temps. L’automne flamboyant de la Renaissance entre Meuse et Rhin, études réunies par Geneviève Xhayet et Robert Halleux, Turnhout, Brepols, 2011.

Ernest de Bavière, 1581-1612. Un prince-évêque liégeois dans l’Europe moderne

Exposition, du 18 novembre au 20 mai 2012, au Musée Curtius, en Féronstrée 136,
4000 Liège. Visites guidées par l’asbl Art&fact notamment.

Contacts : tél. 04. 221.93.25, courriel info@lesmuseesdeliege.be, site www.lesmuseesdeliege.be

 

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