Mai 2012 /214

Inventorier le patrimoine scientifique immatériel de l’ULg

LempereurFrancoise" Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, l’innovation a été reconnue comme un facteur-clé à la source des gains de productivité. La stratégie implémentée vise donc à développer tant les capacités de recherche que l’exploitation par les entreprises des connaissances générées au travers du processus d’innovation. " Cette phrase, tirée d’un rapport de la Direction de la politique économique du ministère de la Région wallonne, a été formulée en 2006. Elle est toujours d’actualité car le discours quasi constant des milieux économiques de notre région reste focalisé sur l’importance de l’innovation comme puissant facteur de développement et de compétitivité. Pour eux, l’efficacité de l’innovation est gage de création d’emplois et de prospérité. La recherche universitaire apparaît donc comme un des piliers du développement régional.

Il ne m’appartient pas de juger de la pertinence de telles assertions d’un point de vue économique. Par contre, dans le débat actuel sur le rôle et le fonctionnement des universités, il me paraît utile de réfléchir à la dimension sociétale de l’innovation et de la recherche, notamment sous l’angle de son rapport avec le “patrimoine culturel immatériel”. Si, comme le prétendent ses partisans, la sauvegarde de celui-ci, promue et organisée par la Convention Unesco d’octobre 2003, est une étape essentielle pour le maintien de la diversité culturelle menacée par les processus de mondialisation des pratiques culturelles, et, par là, un combat contre le risque d’homogénéisation des modes de vie et de pensée, il importe de réfléchir à la place du patrimoine dans la recherche. Autrement dit : peut-on identifier dans le monde scientifique des comportements, des valeurs, des savoir-faire, des manières de réfléchir ou d’expérimenter qui puissent être considérés comme des pratiques culturelles patrimoniales ? Ces “traditions” ont-elles un sens ? Doivent-elles être répertoriées, protégées, transmises ? Ne sont-elles pas la marque d’un repli sur soi et sur le passé ?

Une méthodologie des années 1970
a assuré à l’ULg une renommée internationale
et engendré la création d’un système de références européen“.

Auprès des scientifiques, la question patrimoniale suscite des réactions variées, depuis l’intérêt profond des historiens des sciences jusqu’aux expressions dubitatives ou aux sourires narquois des partisans du “progrès” sans concession. « A quoi bon, me disait un professeur de médecine, essayer d’analyser nos pratiques chirurgicales contemporaines sous l’éclairage d’une transmission patrimoniale de savoir-faire hérités ? Nous essayons sans cesse de perfectionner nos connaissances et nos techniques pour coller au mieux à nos finalités de soigner et guérir. Faisons table rase du passé ! La recherche médicale s’inscrit dans une dynamique de progrès, elle ne s’embarrasse pas de considérations philosophiques ou historiques. » L’opinion de ce professeur, certes fondée sur un réel souci d’efficacité pragmatique, était cependant contredite peu après par le témoignage d’un autre membre du CHU montrant comment une méthodologie développée à la fin des années 1970 avait assuré à l’ULg une renommée internationale et avait depuis lors engendré de nombreux échanges et la création d’un système de références européen.

Pour illustrer et approfondir la relation entre sciences et patrimoine immatériel, j’ai entrepris depuis janvier dernier une recherche intitulée “Inventaire du patrimoine scientifique immatériel” (Ipsi), à laquelle tous les membres de la communauté universitaire intéressés par la problématique sont invités à collaborer. Cette recherche comporte deux volets : une réflexion, qui devrait aboutir dans quelques mois à la rédaction d’un article, et, parallèlement, la conception d’une base de données open source susceptible d’être complétée par les chercheurs au fur et à mesure des intérêts des utilisateurs et de l’évolution des sciences. La méthodologie employée jusqu’ici pour l’Ipsi a surtout visé à repérer des contenus patrimoniaux immatériels propres à l’ULg menacés d’oubli ou de disparition. Grâce à la collaboration de spécialistes chargés d’évaluer le bien-fondé d’une sauvegarde de ces contenus, et d’anciens professeurs, chercheurs ou techniciens assurant leur transmission et leur remise en contexte, une première approche a pu être menée dans des disciplines aussi diverses que la chimie moléculaire, la biochimie, l’astronomie, la photogrammétrie et la pharmacognosie. La dimension immatérielle du patrimoine scientifique étudié est garantie par l’intégration de technologies audiovisuelles et l’Ipsi collabore de facto avec la web-TV de l’UL g. A terme, les données recueillies seront stockées sur un serveur et en partie publiées sur le net ou présentées lors d’expositions temporaires ou permanentes dans le pôle muséal ULg, l’Embarcadère du savoir.

Je conclurai en soulignant que, loin de la vision essentialiste du chercheur fier d’un héritage qui lui permettrait de revendiquer l’unicité de sa démarche sans prise en compte d’une finalité commune et de référents universels, ma réflexion porte en fait sur le “supplément d’âme” qu’un lien patrimonial peut apporter à une démarche scientifique résolument tournée vers des valeurs humanistes, sans souci des objectifs de rentabilité immédiate qu’on lui assigne souvent aujourd’hui.

Françoise Lempereur
maître de conférences et chargée de recherche
département arts et sciences de la communication

Voir un exemple du patrimoine immatériel sur webtv.ulg.ac.be/verre

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