Mai 2012 /214
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L’euthanasie, dix ans après la loi

DelruelleEdouardProfesseur extraordinaire de philosophie morale et politique à l’ULg, directeur adjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Edouard Delruelle reviendra sur la dépénalisation de l’euthanasie en Belgique, dix ans après l’adoption de la loi, lors d’une “journée citoyenne” qui se tiendra, le 2 juin prochain, à l’Institut Van Beneden.

Les Pays-Bas (en 2001), la Belgique (en 2002) et le Luxembourg (en 2009) ont légalisé l’euthanasie : l’usage de procédés qui permettent d’anticiper ou de provoquer la mort pour abréger l’agonie d’un malade (dans des conditions précises) n’est donc plus poursuivi pénalement. Ce n’est pas le cas en Grèce et en Pologne où l’euthanasie est toujours strictement interdite. En Irlande, toute forme d’assistance à la mort est passible de 14 ans de prison.

Dans plusieurs pays européens cependant – en Allemagne, en Espagne, au Portugal notamment –, une forme “d’aide à mourir” est acceptée. En France, la loi Leonetti, votée en 2005, a instauré un droit au “laisser mourir” : le Code pénal y distingue ainsi l’euthanasie “active”, assimilée à un homicide, et l’euthanasie “passive”, équivalant à une “abstention thérapeutique”. En février 2011, le Sénat français a cependant voté contre une proposition visant à l’instauration d’une “assistance médicalisée pour mourir”.

La “journée citoyenne” du 2 juin, organisée par la Commission nationale de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France, s’inscrit certainement dans une volonté d’éclairer la classe politique française sur les pratiques de ses voisins. Entretien avec le Pr Edouard Delruelle qui y prendra la parole.

Le 15e jour du mois : En 1996-97, vous avez présidé une commission chargée de la question de l’euthanasie. Pouvez-vous nous rappeler la genèse de la loi ?

Edouard Delruelle : C’est à la demande du corps médical, en 1996, qu’a été mis en place un Comité consultatif de bioéthique au sein duquel une commission consacrée à la question de l’euthanasie a été instaurée. A l’époque, celle-ci était interdite, illégale… et pourtant pratiquée. Les présidents de la Chambre et du Sénat ont sollicité l’avis du Comité sur cette question difficile.

La commission composée de 12 personnes – médecins, représentants de la société civile et des institutions religieuses – a réalisé un travail très important. Elle a entendu des dizaines de personnes : thérapeutes, patients, familles de malades. Elle a aussi étudié la législation en vigueur dans quelques pays limitrophes. A l’époque, seuls les Pays-Bas reconnaissaient l’“état de nécessité” dans lequel pouvait se trouver un médecin. Cette technique juridique – défendue par les catholiques progressistes et les protestants – autorisait, dans certains cas, le médecin à pratiquer une euthanasie sans être accusé de meurtre. En 1997, la commission a déposé un rapport devant le Sénat. Les conclusions présentaient trois orientations possibles : soit le statu quo, soit une reconnaissance d’un “état de nécessité” plus ou moins large, soit enfin une loi visant à dépénaliser l’euthanasie sous certaines conditions. J’étais personnellement en faveur de cette dernière alternative. En 2002, le gouvernement de Guy Verhofstadt, dit “arc-en-ciel” – sans les partis chrétiens – fait voter la loi qui sort l’euthanasie de la clandestinité. C’est Roger Lallemand qui élabora le premier texte de cette loi connue finalement sous le nom de “loi Mahoux-Monfils”.

Le 15e jour : Que dit cette loi ?

E.D. : La loi belge consacre l’autonomie du patient et lui assure la maîtrise de son corps. Elle autorise les médecins, dans des conditions spécifiques, à pratiquer ce que j’appelais à l’époque les “soins ultimes”. Pour que la demande soit recevable, le patient doit être conscient et dans une “situation sans issue” médicalement objectivée, ce qui exclut du champ de la loi tout “suicide assisté”. La loi ne sacralise pas l’autonomie mais permet à la personne en fin de vie de choisir librement sa mort et les circonstances de celle-ci. Enfin, elle précise que c’est au médecin de poser l’acte médical selon les règles de l’art. Il doit ensuite en informer le Procureur du Roi.

Le 15e jour : Dix ans après la promulgation de la loi, quel bilan peut-on en tirer ?

E.D. : Dans une interview au journal Le Soir du 7 avril dernier, Wim Distelmans, spécialiste du cancer et professeur en médecine palliative à la VUB, président de la commission de contrôle et d’évaluation de la loi, dit que le nombre d’euthanasies déclarées en Belgique reste stable : environ 1000 chaque année. Mais selon plusieurs estimations fondées sur des enquêtes, le chiffre de 2000 serait plus correct. Il observe que 70 à 80% des euthanasies sont pratiquées en Flandre. Malgré une pratique religieuse plus affirmée que dans le sud du pays, il semble que le Nord, plus proche de la mentalité anglo-saxonne (et voisin des Hollandais) soit plus ouvert à la question de l’euthanasie. Par ailleurs, il y a sans doute un “sous-rapportage“ des soins ultimes en Wallonie. Les médecins y sont-ils plus paternalistes ? S’il ne s’agit sans doute pas de résistance idéologique, disons qu’il y a dans certains hôpitaux une grande réserve en la matière : l’information n’est pas dispensée aux patients. Sans être illégale, je dirais que cette pratique est peu déontologique. Si la loi a été appliquée sans problème majeur dans les premières années qui ont suivi son adoption – bien que certains hôpitaux et quelques maisons de repos ont refusé (ce qui était leur droit) de s’inscrire dans la démarche –, le Pr Distelmans constate une recrudescence des oppositions. Des médecins de plus en plus nombreux invoquent une clause de conscience pour refuser de pratiquer une euthanasie car ils estiment que l’acte médical est un acte de vie, pas de mort. De même certains directeurs de cliniques considèrent que l’hôpital est un lieu où l’on soigne, pas où l’on meurt. Et pourtant, dans nos sociétés, 80% des décès ont lieu dans un contexte hospitalier ! A côté des soins curatifs que la médecine préconise, des actes palliatifs qu’elle pose, je suis convaincu qu’il faut aussi réserver une place aux “soins ultimes”. En plus de soigner (to cure) l’individu, l’hôpital doit aussi en prendre soin (to care). La nuance est importante.

Le 15e jour : Faut-il modifier la loi ?

E.D. : Je pense qu’il faut étendre le bénéfice de la loi aux patients atteints de pathologies mentales dégénératives (la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer par exemple), aux porteurs de tumeurs cérébrales avancées, etc. La loi de 2002 prévoit que la volonté du malade doit être reconfirmée, mais cela ne peut être réalisé lorsque la démence l’emporte. Et cela oblige certains patients – comme l’écrivain Hugo Claus – à réclamer une euthanasie de manière précoce. D’autre part, il me semble que la loi devrait pouvoir être étendue aux enfants. Je sais que c’est une question très délicate et très sensible mais un jeune de 16 ans, accidenté gravement, n’a-t-il pas le droit, lui aussi, de choisir de mourir ? Par ailleurs, je crois que nous devons rester vigilants car il existe au sein du Conseil de l’Europe un lobby religieux déterminé à ce que l’exemple belge ne fasse pas tâche d’huile. Or, l’euthanasie est quotidienne dans les hôpitaux de l’Union européenne, et ce en toute illégalité. Seule une loi permet d’éviter les dérives et d’assainir les pratiques.

Propos recueillis par Patricia Janssens

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9e Journée citoyenne.
L’avenir de la santé : solidaires et responsables

Le samedi 2 juin, de 9 à 17h30, avec notamment la participation des Prs Véronique De Keyser et Edouard Delruelle (ULg), à l’amphithéâtre de Zoologie, quai Van Beneden 25, 4020 Liège.

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