Octobre 2012 /217

L’entreprise sociale interroge notre système

"If not for Profit, for What? And How?” : telle sera la question sur laquelle une quarantaine de chercheurs en Belgique vont se pencher durant les cinq années à venir. Cinq ans de recherche financés par la Politique scientifique fédérale à travers un fameux – et très convoité – “pôle d’attraction interuniversitaire” (PAI) que vient de décrocher le Pr Jacques Defourny, directeur du Centre d’économie sociale à HEC-ULg (en collaboration avec l’UCL, l’ULB et la VUB).

En plein essor

C’est une première : un projet PAI est consacré à l’économie sociale pour interroger ses logiques, ses dynamiques, ses apports spécifiques et son potentiel de développement. Preuve sans conteste de l’intérêt croissant pour cette “économie différente” dont l’essor est patent : plus d’un tiers de toutes les créations d’emplois depuis dix ans en Belgique. Aujourd’hui, la “Social enterprise” s’est hissée au rang de priorité stratégique et de label dans les pays anglo-saxons et le concept connaît un véritable boom. La Commission européenne, elle aussi, travaille désormais sur l’entreprenariat social, la majorité des grandes Business Schools proposent des cours ou des programmes sur le sujet, de plus en plus d’entrepreneurs sociaux font la “une” des médias.

Les entreprises sociales peuvent se définir comme “des organisations d’initiative privée (ou mixte) qui combinent une dynamique entrepreneuriale de production de biens ou de services avec une primauté de leurs objectifs sociaux ou sociétaux”. Les budgets publics étant sous une pression croissante, les entreprises sociales proposent des manières renouvelées de poursuivre le bien commun. « Nous avons besoin d’un nouveau modèle économique qui fasse plus de place à des articulations innovantes entre l’initiative privée, individuelle ou collective, une exploitation réaliste de la capacité à payer des usagers, certains financements publics pour rendre ces services accessibles au plus grand nombre et, bien souvent chez les pionniers et dans les phases de création, des contributions volontaires comme des dons et du bénévolat », pense le Pr Defourny.

L’émergence de l’entreprise sociale, entreprise qui doit assurer sa viabilité économique sans faire du profit son mobile premier, interroge assurément certains fondamentaux en économie et en gestion. Quels incitants, quelles motivations permettent de mobiliser les énergies et les compétences dans un tel modèle ? Quelle est la spécificité de sa gouvernance ? Quels paradigmes faut-il revisiter ? « L’observation de cette espèce atypique d’entreprise va nous permettre de requestionner les théories du modèle dominant, explique Sybille Mertens, chargée de cours à HEC-ULg, et d’en cerner les implications dans les différentes dimensions de la gestion. » Théoriser les spécificités des entreprises sociales au carrefour du marché, de l’Etat et de la société civile est un des objectifs du projet ; du même coup, c’est comme si l’on osait aussi reposer la question du sens de l’activité économique au coeur même du capitalisme contemporain… qui, justement, semble en avoir bien besoin.

Interuniversitaire et interdisciplinaire

Depuis le 1er octobre, dix académiques – dont trois à l’ULg – forment le noyau dur de ce “PAI 2012-2017”, lequel bénéficie aussi de la participation de quatre professeurs américains, danois et italien. A l’initiative du projet, le Pr Jacques Defourny et Sybille Mertens, chargée de cours, en assurent la coordination générale épaulés par Benjamin Huybrechts, chargé de cours et également membre du CES. Interuniversitaire, le PAI est aussi interdisciplinaire : à Liège comme dans les autres universités partenaires, des juristes, des sociologues, des psychologues apporteront leur expertise à la recherche.

Grâce au financement obtenu, l’ULg va octroyer deux bourses doctorales et s’apprête à accueillir quelques post-docs étrangers. « L’idée est également d’attirer à Liège, autour du CES et du projet, des chercheurs d’autres pays, des doctorants, des professeurs visiteurs, etc. », poursuit Jacques Defourny. En plus du suivi des travaux et de la coordination d’ensemble, le trio liégeois a déjà planifié quelques workshops et organisera, en juillet 2013, la 4e conférence internationale du EMES European Research Network. Son objet ? “If not for Profit, for What ? And How ?”…

Patricia Janssens

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