Janvier 2013 /220

Histoire d’une polémique invisible

Une polémique qui éclate sur un sujet qui… n’existe pas ? Étonnant. Et pourtant réel. Il arrive encore, çà et là, que l’introduction du halal en milieu scolaire suscite quelques controverses, bien qu’aujourd’hui aucune école de l’enseignement officiel belge n’ait spécifiquement intégré dans sa cantine de la nourriture conforme aux prescrits de la religion musulmane.

Cherchez l’erreur ? La polémique a bien émergé en janvier 2006, lorsque le collège communal de Molenbeek décida d’intégrer dans les cantines de 25 établissements scolaires des repas à base de viande halal (parmi d’autres menus disponibles), afin de répondre à une forte demande de la part des habitants.

L’initiative molenbeekoise fit rapidement parler d’elle dans d’autres communes bruxelloises. Ainsi que dans les médias. Mais l’expérience fit long feu, à cause de difficultés liées à sa mise en oeuvre concrète. Le débat reste toutefois ouvert, notamment dans le monde du travail, comme le rappelle le livre Polémiques à l’école*, dirigé par Geoffrey Grandjean et Grégory Piet, tous deux chercheurs au sein du département de science politique de l’ULg. Une ouvrage qui se penche sur les différentes controverses qui animent la sphère scolaire en Belgique, mais aussi à l’étranger : l’enseignement des faits religieux aux États-Unis, la transmission des faits historiques au Liban, l’éducation espagnole au fil de l’histoire, le port du voile en Belgique…

Et l’introduction de la viande halal dans certains réfectoires bruxellois, donc. Un chapitre où l’auteure, Corinne Torrekens (chargée de recherche FNRS à l’ULB), s’intéresse moins « à la polémique en tant que telle » qu’aux « redéfinitions de l’espace public en termes de neutralité/laïcité qu’elle [la polémique] initie dans le contexte belge et qui éclairent d’autres débats relatifs à l’intégration de l’islam en Belgique ». Après avoir retracé l’origine de l’expérience molenbeekoise et les levées de boucliers que celle-ci a déclenchées (contestations syndicales, réactions de parents, etc.), Corinne Torrekens résume la situation : pour ses promoteurs, l’introduction de nourriture halal est un appelà la tolérance, tandis que ses opposants agitent le spectre du repli communautariste et en appellent au respect de la laïcité de l’enseignement communal.

Laïcité ? En fait, « c’est toute la question de la “neutralité” de l’école publique ainsi posée et débattue », explique-t-elle. Un débat où les termes “laïcité” et “neutralité” sont utilisés comme synonymes, « alors qu’ils recouvrent des réalités et des contenus différents ». Car si ces mots réfèrent tous deux à la séparation entre sphères publique et privée, la premier d’entre eux – laïcité – suppose « l’exclusion et la non-reconnaissance des communautés […] et on voudrait qu’elle soit l’appareil d’illégitimation de l’affirmation publique des appartenances religieuses en général et de la religion de l’Autre en particulier ».

PolemiquesEcolePour l’auteure, derrière la polémique du halal se cache en réalité la question de la reconnaissance de la religion musulmane dans la société belge. « Les pratiques religieuses dominantes semblent bénéficier d’une légitimité historique interrogeant considérablement moins leur présence dans l’espace public et rendant, dans ce même espace, leurs traces visibles profanes, voire même païennes. » Tandis que les pratiques musulmanes, minoritaires, socialement moins instituées, renvoyant à une forme d’altérité, restent sujettes au débat public. « Or, comme d’autres formes et expressions visibles de l’islam dans l’espace public, les demandes d’introduction de halal dans les espaces scolaires peuvent être appréhendées comme des demandes de reconnaissance et d’inclusion et non, exclusivement, comme des demandes d’octroi de droits particuliers et exceptionnels », note Corinne Torrekens. Et de conclure en soulignant que l’intégration et l’insertion des minorités religieuses est l’un des nouveaux enjeux auxquels la société belge est désormais confrontée.

Pour Geoffrey Grandjean et Grégory Piet, ce chapitre (comme tous les autres que comporte l’ouvrage) démontre que, contrairement à ce que l’on imagine souvent, « l’école n’est pas une forteresse » mais qu’elle est traversée par de multiples enjeux politiques et sociaux qui sont souvent peu visibles, qui la dépassent parfois, mais qui sont bel et bien présents.

Mélanie Geelkens

Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac (rubrique Société/sociologie)

* Geoffrey Grandjean, Grégory Piet et al., Polémiques à l’école. Perspectives internationales sur le lien social, Armand Collin, Paris, août 2012.

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