Janvier 2013 /220
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La biologie moléculaire, une clef pour vaincre le cancer

Alain Chariot est licencié en sciences pharmaceutiques, licencié en biologie clinique et docteur en sciences biomédicales expérimentales et pharmaceutiques. Maître de recherche au FNRS et chercheur Welbio, il travaille actuellement avec une équipe de dix personnes au sein du Giga.

ChariotAlainSes recherches concernent la biologie moléculaire et cellulaire, soit la compréhension du fonctionnement des organismes vivants. Son ambition est de déchiffrer les mécanismes biologiques qui président à l’apparition du cancer, puis à son développement. Cette recherche fondamentale est soutenue financièrement depuis deux ans par Welbio (“Walloon Excellence in Lifesciences and Biotechnology”), institut interuniversitaire de recherche dans le domaine des sciences de la vie. Une aubaine pour le chercheur et un défi à relever : Welbio soutient la recherche fondamentale d’excellence, mais demande que la valorisation des résultats fasse partie des questionnements des scientifiques.

Le 15e jour du mois : Connaît-on mieux aujourd’hui le cancer ?

Alain Chariot : Oui, certainement. Nous savons aujourd’hui que tous les cancers se caractérisent par une prolifération accrue et/ou une survie prolongée de cellules modifiées, transformées. C’est parce que ces cellules prolifèrent plus vite et/ou vivent plus longtemps qu’elles vont s’accumuler dans notre organisme et générer une tumeur. Ce sont donc bien nos propres cellules qui ne vont plus fonctionner correctement. Au niveau moléculaire, il y a deux phénomènes importants qui se conjuguent dans l’apparition d’une tumeur : d’une part, des gènes dont la fonction est de nous protéger (“gènes suppresseurs de tumeurs”, parfois appelés “gardiens du génome”) ne sont plus fonctionnels, ce qui peut s’observer suite à une infection par certains virus ou suite à une exposition trop prolongée au soleil notamment ; d’autre part, certains gènes, les “proto-oncogènes”, deviennent trop actifs et contribuent directement au développement du cancer. Je tiens à rappeler ici que nous ne sommes pas égaux devant le cancer. Nous avons des susceptibilités différentes. On sait que les individus blonds aux yeux bleus sont plus susceptibles de développer un mélanome que les autres. Cela ne veut pas dire que tous les blonds vont souffrir d’un cancer de la peau, mais les risques sont plus élevés pour eux. Outre les susceptibilités différentes, des comportements inadaptés peuvent être dangereux : fumer et boire de l’alcool en même temps induit plus de risques de souffrir d’un cancer de la gorge... Comprendre tous les mécanismes biologiques qui président à l’apparition d’un cancer constituera un pas décisif dans le traitement de la maladie. C’est notamment en étudiant l’ADN et les protéines des cellules cancéreuses que nous y parviendrons. Les scientifiques ont remarqué en effet que certaines d’entre elles (les protéines “NF-κB” par exemple) – indispensables pour nous protéger de l’agression des virus et autres bactéries – peuvent aussi jouer un rôle néfaste pour la santé. Si ces protéines ne sont pas suffisamment exprimées ou si leur fonctionnement n’est pas optimal, elles peuvent être responsables d’immunodéficiences sévères dès la naissance. Si au contraire ces protéines sont trop actives, si leur fonctionnement s’emballe, elles peuvent alors contribuer à l’apparition des cancers. Dans les deux cas, c’est la même famille de protéines qui est en cause.

Le 15e jour : Quel est l’objet de vos recherches ?

A.C. : Mon équipe travaille principalement sur les voies de signalisation qui, lorsqu’elles sont dérégulées, contribuent à l’apparition des cancers. Ces voies de signalisation nous permettent de nous adapter à notre environnement lorsqu’elles fonctionnent correctement. Elles impliquent des centaines de protéines que nous pourrions représenter comme des pièces d’un puzzle. Certaines de ces pièces peuvent être altérées (on dit qu’elles sont “mutées”), ce qui conduit à une activation trop importante de ces voies, un phénomène commun à tous les cancers. Si l’on arrive à identifier la protéine mutée, on peut alors lui administrer un inhibiteur afin d’induire la mort des cellules cancéreuses. Plusieurs agents thérapeutiques anti-cancéreux sont nés grâce à une meilleure compréhension de ces voies de signalisation : l’herceptine pour le traitement de certains types de cancers du sein ainsi que le glivec pour le traitement de certaines leucémies chroniques par exemple.

Précisément, nous concentrons nos travaux sur l’étude des protéines de signalisation dont l’inhibition éteint ou retarde le développement tumoral. Ces expériences nous permettent de mieux comprendre comment un cancer du côlon ou du sein se développe. Elles nous permettent de révéler de nouvelles cibles thérapeutiques prometteuses. Nous essayons également de comprendre pourquoi certaines tumeurs mammaires ne répondent plus à un traitement au tamoxifène, une drogue largement prescrite pour traiter certains types de cancer de la glande mammaire.

Le 15e jour : Quel traitement pour demain ?

A.C. : La médecine de demain sera plus ciblée et plus personnalisée. Les agents thérapeutiques seront moins toxiques pour l’organisme. Cibler et classer les tumeurs deviennent à présent les enjeux majeurs des laboratoires car cela permettra de produire des médicaments intelligents, issus des biotechnologies, capables de détruire les seules cellules cancéreuses. La recherche a par exemple démontré que la protéine “B-RAF”, lorsqu’elle est trop active, jouait un rôle décisif dans le mélanome. Des patients atteints de ce cancer très rapidement métastatique ont reçu un inhibiteur de cette protéine et, dans un premier temps, le résultat a été stupéfiant : leur organisme a véritablement été “nettoyé” et les tumeurs ont disparu. Hélas, quelques semaines plus tard, le cancer s’est adapté et a repris vigueur car il a réussi à contourner l’inhibition de cette protéine pour se développer à nouveau. Ces thérapies ciblées conduisent effectivement dans beaucoup de cas à des résistances. Dès lors, il faut attaquer le cancer sous plusieurs angles, à l’image de la trithérapie pour le traitement du sida. Combiner plusieurs thérapies ciblées constitue une approche très prometteuse pour l’avenir.

Les progrès de la recherche n’ont jamais été aussi rapides qu’à l’heure actuelle, et le délai entre l’invention scientifique et la mise sur le marché d’un médicament est de plus en plus court. Au Giga, dès que des résultats sont validés, nous transmettons une “annonce d’invention” à l’Interface Entreprises-ULg qui fait alors appel aux groupes pharmaceutiques. Ceux-ci réagissent, habituellement, très rapidement. Avec Welbio, nous avons intégré la démarche de valorisation au déroulement scientifique de notre projet dès son démarrage. Par ailleurs, nous sommes aussi partenaires du “Plan cancer” de la faculté de Médecine qui travaille sur des traitements ciblés et de nouveaux moyens de diagnostiquer et de classer les lymphomes.

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos : J.-L. Wertz 

Welbio

“Walloon Excellence in Lifesciences and Biotechnology” est un institut interuniversitaire de recherche dans le domaine des sciences de la vie, basé en Wallonie. Il finance des projets d’excellence en recherche fondamentale, avec l’objectif de valoriser les résultats scientifiques dans le secteur des biotechnologies médicales, de la pharmacie et de la médecine vétérinaire. La sélection des programmes de recherche Welbio est placée sous la responsabilité d’un comité scientifique international de haut niveau suivant un critère d’excellence scientifique. En février 2011, lors du premier appel à projets, 15 dossiers ont été distingués : parmi eux, quatre projets liégeois portés respectivement par Pierre Maquet, Laurent Nguyen, Stéphane Schurmans et Alain Chariot.

Un deuxième appel a été lancé en 2012 : les projets choisis seront dévoilés lors d’une conférence de presse au Giga le 1er février.

Contacts : tél. 010.68.63.55, courriel vinciane.gaussin@welbio.org

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