Pour répondre à la demande croissante de produits « verts », de nombreuses filières industrielles basées sur la chimie font appel à des matières végétales. Celles-ci ont l'avantage d'être renouvelables et d'être jugées plus « naturelles ». Présente dans le bois, mais aussi dans divers déchets d'industrie, la lignine pourrait ainsi constituer une ressource clé pour la chimie de demain. Encore faut-il bien la connaître, pour ensuite maîtriser son utilisation avec discernement. C'est le rôle du Laboratoire de Chimie biologique industrielle de Gembloux Agro-Bio Tech. Au terme de recherches étalées sur deux années, ses chercheurs ont réussi à établir une corrélation significative entre le prétraitement appliqué à ces végétaux et le pouvoir antioxydant de la lignine extraite.
Remplacer les carburants des automobiles par des plantes… Il y a quelques décennies à peine, ce scénario aurait fait sourire. Aujourd'hui, le rêve est devenu réalité. Plus personne ne se retourne, stupéfait, sur les affiches des stations services vantant l'incorporation (certes, à des taux qui restent modestes) de bioéthanol ou de biodiesel dans l'essence et le diesel disponibles à la pompe. Ces carburants « verts » , ou biocarburants, sont produits dans des installations de bioraffinage à partir de végétaux aussi banals que la betterave, le froment, le colza, etc ; ou, à l'étranger, à partir de la canne à sucre, du maïs, etc.
« Banals », vraiment ? Pas si sûr… Car tous ces végétaux constituent la base même de la chaîne alimentaire de milliards de personnes. Si bien intentionnée soit-elle (notamment pour réduire la pollution des moteurs thermiques), leur utilisation à des fins énergétiques pose donc un problème de concurrence avec cette utilisation alimentaire. C'est la raison pour laquelle les efforts de la recherche se concentrent actuellement sur les biocarburants de deuxième génération. Ceux-ci n'utilisent plus les végétaux eux-mêmes, mais les résidus de leur production ou de leur transformation : les pailles, les feuilles, les tiges, etc. Cette deuxième génération de biocarburants a également recours aux résidus forestiers (par exemple les écorces des scieries ou des industries papetières), mais aussi aux déchets des parcs à conteneurs ou des activités de jardinage, voire à des végétaux à croissance rapide plantés spécifiquement à cette fin (les taillis dits « à courte rotation »).
Outre la caractéristique d'être la source de carbone renouvelable la plus abondante de la planète, ces matières premières sont lignocellulosiques. Cela signifie qu'elles se composent à la fois de cellulose (à raison de 40 à 60 % selon les variétés végétales), d'hémicellulose (20 à 40 %, un polymère de sucre) et, enfin, de lignine (10 à 25 %). Grâce à différents types de prétraitement (physique, thermique ou chimique), les industries d'aujourd'hui parviennent aisément à décomposer les matières lignocellulosiques pour avoir accès à ces trois composés. Or ces derniers ne servent pas seulement pour la fabrication de biocarburants ou de papier, ils peuvent aussi intervenir - et c'est particulièrement le cas de la lignine – dans la fabrication de nouveaux produits (matériaux, cosmétiques, pharmaceutiques, etc.) ou de molécules de base intéressantes pour le secteur chimique. « Une fois que les sucres fermentescibles ont été extraits des matières premières végétales, il reste la lignine, explique Aurore Richel, responsable du Laboratoire de Chimie Biologique Industrielle de Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège).
Ce polymère aromatique a pour particularité de présenter une structure chimique très complexe. Toutefois, grâce aux travaux de ces dix dernières années, on sait aujourd'hui que la lignine du bois présente une structure plus ou moins identique quelle que soit l'essence considérée. On sait aussi, grâce à des outils aussi sophistiqués que la spectrométrie ou la chromatographie, que la structure des herbacées présente elle aussi certaines constantes. Et il en va de même pour toutes les grandes catégories de végétaux ».