Une nette simplification
De ce fait, c'est toute la méthodologie d'établissement des bilans carbone qui va s'en retrouver simplifiée. En effet, le modèle développé par Jean-François Bastin et ses collègues permet dorénavant d'établir les bilans carbones avec une marge d'erreur inférieure à 15% en mesurant seulement 5% des arbres présents! « Si l’objectif est de mesurer et vérifier régulièrement l’état des forêts sur de grande superficies, nous pouvons dès lors recommander que seule la mesure des arbres de plus de 50 centimètres (à 1,30 m de hauteur) soit réalisée, ce qui représente à peine 7% des arbres mesurés actuellement. Ces arbres au diamètre supérieur à 50 centimètres expliquent plus de 90% de la variation des stocks de carbone. La masse de ces arbres est tellement importante dans la balance que le reste des mesures en devient presque inutile dans le cadre des bilans carbone (il est évident qu'il en va autrement si l'on étudie la dynamique ou la composition floristique de la forêt)".
Le second acquis majeur de l’étude a consisté à apporter une réponse à la question : "Qui sont ces gros arbres ?" Et particulièrement: "sont-ils largement répandus en Afrique Centrale?" "Il y a un an, dans le bassin amazonien, des recherches ont conclu que les principaux éléments structurants des forêts étaient le fait des grands arbres, montrant qu’environ 1% des espèces présentes contiennent plus de 50% des stocks. Ces espèces, contribuant de manière disproportionnées au bilan carbone d’une région sont appelées "hyperdominantes". Nos travaux montrent que la situation est légèrement différente en Afrique. Bien qu’une très faible proportion d’espèces recensées (1,5 %) contienne également la majorité des stocks de carbone forestier, nous avons remarqué qu’une partie non négligeable de ces espèces "hyperdominantes" ne sont pas particulièrement grandes : elles ne dépassent que rarement 70 centimètres de diamètre (à 1,30 mètre de hauteur). Ces espèces dites "hyperdominantes" le sont, non pas au regard de leur taille, mais bien au regard de leur abondance et de leur large répartition dans le bassin du Congo. Ces espèces constituent donc la clé de voûte du bilan carbone ».
Ces résultats ouvrent des perspectives séduisantes à relativement court terme pour les programmes de conservation des forêts. Encore aujourd'hui, pour réaliser des cartes de bilan carbone et identifier les zones à risque et les zones d’intérêt pour la conservation, on utilise des méthodes dites « indirectes ». Ces méthodes se basent sur des informations issues des satellites (réflectance de la lumière par la végétation, hauteur moyenne de la canopée), qui ne constituent pas directement une mesure du carbone. Demain, on pourra sans doute faire beaucoup mieux: "Puisqu'on sait dorénavant que la majorité de l’information est contenue dans les plus gros arbres, et que ceux-ci sont directement observables sur les images satellites, on pourra probablement se contenter d’extraire une information métrique « directe » de ces arbres (diamètre de la couronne, hauteur de l’arbre) pour estimer la biomasse de la forêt, et ainsi valoriser des modèles tel que celui développé dans notre étude. De là, on pourra en établir le bilan carbone.
Autrement dit, on se rend compte que certaines critiques qu'on adressait aux images satellites, accusées d'être trop pauvres en informations, s'avèrent injustifiées dans le cadre des bilans carbone. Au lieu d'extrapoler la réflectance et de faire le lien avec la biomasse, on pourrait probablement estimer directement cette dernière à partir des mesures des arbres principaux, soit entre 5 et 10 individus par hectare".
S'il est une satisfaction que Jean-François Bastin éprouve dès à présent, c'est celle de voir une partie de son travail ancré dans le présent le plus immédiat et non dans un hypothétique futur. Depuis 2012, ses données sont utilisées par le WWF Congo (World Wide Fund for Nature) qui, en collaboration avec la NASA et le Dr. Sassan Saatchi, s'emploie actuellement à cartographier l'ensemble des forêts du bassin du Congo dans le cadre de programmes de conservation financés par le WWF Allemagne. En outre, l'article paru dans Scientific Reports permet désormais au chercheur d’avoir accès à une base de données beaucoup plus large, et ce afin de tester ses résultats à une échelle pan-tropicale. Engagé depuis ce mois d'octobre par les Nations Unies à la Food and Agriculture Organization (UN-FAO), il s'appliquera à mettre au point une méthodologie standard pour le monitoring des forêts dans le cadre des crédits carbone.