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Un champignon tueur de moustiques
18/05/2016

La microscopie électronique en renfort

La méthode de production étant mise au point et le caractère insecticide étant avéré, les deux chercheurs se sont intéressés à la compréhension en profondeur du mécanisme d’action des spores sur les larves du moustique. "Classiquement, pour les insectes terrestres, la spore d’un champignon entomopathogène adhère à la cuticule de l'animal. Elle y "colle" littéralement, mais il ne s’agit là que d’une interaction passive, non spécifique. C’est seulement au terme d’un mécanisme de reconnaissance de l’hôte que la spore finit par germer. Elle produit alors un filament infectieux qui pénètre le corps de l'insecte grâce à des pressions physiques et enzymatiques. Une fois à l'intérieur, le champignon produit des métabolites toxiques destinés à venir à bout de son système immunitaire. Les tissus se nécrosent et sont déstructurés par la prolifération de filaments. L''animal finit par mourir. Or ici, il ne s'agit pas d'insectes adultes, mais bien de larves qui vivent dans un milieu strictement aquatique ! Je voulais donc identifier la voie d’entrée par laquelle la toxicité des spores s’exerce sur le Culex quinquefasciatus. Le schéma classique serait-il reproduit ? Ou d’autres voies d'entrées dans le corps seraient-elles en jeu ?"

Pour répondre à ces questions, Thomas Bawin s’est rendu chez Philippe Compère, chef de travaux au laboratoire de Morphologie fonctionnelle et évolutive de l’Université de Liège. Il y a infecté ses larves avec les spores d'Aspergillus clavatus, qui s’est montré le plus virulent. Ensuite, à intervalles réguliers répartis sur 48 heures, il a suivi le cheminement des spores dans le corps de l'insecte grâce aux techniques de microscopie électronique à balayage et à transmission. Si la première méthode permet d'observer la surface de la larve, la seconde permet de visionner l'intérieur du corps au fil de coupes histologiques. "Le balayage a rapidement permis de constater que les spores n’adhéraient pas à la surface du corps des larves, ni sur le siphon respiratoire de celles-ci, mais bien sur les pièces buccales. Un constat intéressant, puisque cela suggérait que la larve ingérait les spores".

La microscopie à transmission, elle, a trahi l'action de la spore au sein de l'animal. "La comparaison des images entre larves témoins et larves infectées a clairement fait apparaître, au fil des heures, une présence de plus en plus importante de spores dans le bol alimentaire. Il faut bien réaliser que ces spores sont, en réalité, des cellules en dormance. Au fil des heures, elles deviennent de plus en plus actives, ce qui se traduit par une plus grande perméabilité et par la sécrétion de composés toxiques capables d'endommager l'épithélium digestif et les tissus musculaires, et cela entre 8 et 24 heures après l'infestation". De là à savoir quels composés toxiques sont en jeu, il y a un pas. Cette phase des travaux est encore en cours à Gembloux et devrait s'achever dans les mois qui viennent. "Probablement s'agit-il d'un cocktail d'enzymes et de métabolites dont la toxicité ne s'exerce pas seulement contre les insectes, mais aussi contre d'autres êtres vivants... Il faut toutefois être prudent: il s'agit, à ce stade, d'une pure hypothèse induite par la - maigre - littérature scientifique existant dans ce domaine". 

Larve moustique CulexF

Un élémentaire devoir de prudence

Question: si les spores de champignons s’introduisent bel et bien dans l'organisme pour y détruire assez rapidement des tissus, est-ce la preuve que l'Aspergillus est utilisable dans la lutte biologique ? Pas si vite ! Certes, les larves du Culex quinquefasciatus sont atteintes suite à l’ingestion de spores, mais il pourrait en aller de même pour quantités d'autres animalcules filtreurs présents dans le même écosystème, par exemple les daphnies. En effet, rien ne permet d’affirmer qu’un mécanisme de reconnaissance de l’hôte spécifique intervient par ce biais. Avant d'utiliser les spores du champignon contre les moustiques, il conviendrait de s'assurer que le zooplancton, voire des poissons, ne peuvent pas pâtir à leur tour de telles interventions dans l'environnement. "Il est probable qu'un organisme naturel comme l'Aspergillus n'a pas la même rémanence qu'un insecticide chimique, commente le chercheur. Mais cela ne dispense en rien de vérifier si son pouvoir pathogène est vraiment sélectif ou, au minimum, s'il s’exerce sur une gamme limitée d'hôtes. Sans quoi, on passerait à côté du but poursuivi".

Une première façon de procéder avec prudence consisterait à ne traiter strictement, par pulvérisation limitée, que les petits gîtes larvaires. Ceux-ci sont généralement situés à proximité immédiate des activités humaines: pneus usagés, canettes et récipients abandonnés, fonds de citernes, etc. On pourrait aussi maximaliser l'impact des spores en jouant sur la formulation utilisée. "La piste à privilégier à ce niveau, selon moi, est l'utilisation d'huiles ou d'émulsions. Celles-ci sont probablement susceptibles de maintenir les spores à la surface de l'eau, sans les entraîner en profondeur, et donc d'augmenter la surface du corps des larves en contact avec celles-ci tout en maintenant l’activité pathogène. Mais il s'agit d'une hypothèse à ce stade. Toutes sortes de travaux de vérifications qui restent à mener et qui, un jour ou l'autre, accoucheront peut-être d'une utilisation commerciale des Aspergillus dans la lutte biologique.

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