Octobre 2016 /257

Observatoire Hugo

Scruter les transformations de l’environnement et ses conséquences

À l’initiative de François Gemenne, chercheur qualifié au FNRS, la première “Conférence Hugo. Environnement, migration et politiques” se tiendra, au début du mois de novembre, à l’université de Liège. Avec, Nicolas Hulot en invité de marque.

La “Conférence Hugo” – du nom de Graeme Hugo, pionnier dans l’étude des migrations environnementales, décédé en 2015 – aura lieu à l’université de Liège, les 3, 4 et 5 novembre prochains. Véritable coup d’envoi de l’Observatoire Hugo et de l’Association scientifique internationale sur l’étude des migrations environnementales, ce premier congrès jouit déjà d’un bel enthousiasme : pas moins de 250 propositions de communication ont été soumises et les inscriptions affluent… Il faut dire qu’il s’agit d’une “première”. L’Observatoire Hugo est en effet la première structure au monde consacrée exclusivement à la thématique des migrations environnementales. Il est situé à l’université de Liège, en faculté des Sciences, au sein de l’unité de recherche “Sphères”. La Conférence Hugo est en quelque sorte son acte de baptême.

FUIR LES CALAMITÉS

TurkanasDepuis 2008, chaque année, 26 millions de personnes dans le monde quittent leur campagne, leur village, leur pays à cause de catastrophes naturelles dont 85% sont de nature climatique (inondations, sécheresses, etc.). Et ces données ne tiennent pas compte des dégradations lentes de l’environnement, comme la hausse du niveau de la mer. Le phénomène est vraiment majeur.

« Selon les géologues, explique François Gemenne, nous sommes entrés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans l’ère de l’Anthropocène, soit l’“âge des humains”, nouvelle ère géologique dans laquelle les humains sont à la fois la première force de transformation de la planète et les premières victimes de cette transformation. En résumé, nous transformons la Terre et la Terre nous transforme. À nous de résoudre l’équation. »

Dire que la problématique est devenue une préoccupation essentielle des gouvernements et des organisations internationales est un euphémisme. En 2015, 110 gouvernements ont adopté à Genève un agenda international de protection des migrants environnementaux (dans le cadre de l’initiative Nansen) et les autorités publiques réclament des analyses fouillées de la situation afin de prendre les décisions pertinentes.

Du côté de la recherche, ce domaine d’étude à la croisée des études migratoires et environnementales a connu un véritable essor. « De plus en plus d’initiatives collectives s’organisent, notamment autour de la constitution de bases de données, relève François Gemenne. Et l’équipe de l’ULg, précurseur en la matière, a maintenant acquis une visibilité internationale. Les chercheurs mènent actuellement plusieurs recherches sur le terrain, en Afrique de l’Ouest, en Asie du Sud et du Sud-Est, dans le Pacifique Sud. La création de l’Observatoire Hugo entend transformer cette dynamique en une unité de recherche pérenne. À l’ULg, sept chercheurs, venus des sciences sociales et des sciences de l’environnement, travaillent déjà sur ces thématiques et l’équipe a vocation à grandir. Nous traitons de sujets qui vont des politiques migratoires aux politiques foncières, de l’immobilité forcée aux retours imposés en zones contaminées autour de Fukushima, par exemple. » L’équipe liégeoise collabore depuis plusieurs années déjà aux projets européens “Helix” – avec l’étude des conséquences d’une hausse des températures de 4 degrés, voire 6 degrés – et “Meclep” qui envisage les conséquences environnementales des migrations et plus seulement leurs causes. Deux thèmes qui démontrent à l’envi que les approches émanant des sciences et des sciences sociales s’entrecroisent et se conjuguent afin de proposer une expertise complète.

« Les climatologues s’intéressent pour le moment à la notion de seuil de rupture (tipping point), c’est-à-dire au moment où le climat basculera d’un état à l’autre, poursuit François Gemenne. Si la température augmente de plus de 2 degrés, il est possible que certains seuils de rupture soient franchis, ce qui ferait basculer le climat de façon irréversible… Quelles en seraient les conséquences sociales ? Comment le concept du “point de rupture” se traduit-il en sciences sociales ? On sait que, sous l’influence d’un changement climatique majeur, une société peut basculer. Quelle politique faut-il mettre en œuvre pour l’éviter ? Pour apporter des réponses crédibles à ces questions, une approche interdisciplinaire est impérative. »

MODIFIER LE REGARD

Pendant longtemps, les mouvements de population ont été appréhendés comme des catastrophes humanitaires. Certes, lorsqu’ils se déroulent dans l’urgence d’un tsunami par exemple, ces déplacements sont le fait de populations survivantes, victimes involontaires d’une catastrophe naturelle. Mais pour certaines personnes, le départ est une opportunité. Plusieurs études réalisées à l’ULg montrent en effet que les mouvements de populations peuvent être de véritables stratégies. Au Kiribati, petit État du Pacifique confronté à une inexorable montée des eaux, le gouvernement encourage l’émigration “préventive” et a instauré des formations afin que la population puisse plus facilement trouver un emploi à l’étranger. Une méthode éloignée des “plans d’évacuation” mais qui provoque, en douceur, un transfert des habitants. « Dans le cas de dégradation des sols, autre exemple, le départ d’une partie de la population peut s’avérer positif : le stress hydrique sur le village diminue et les familles peuvent diversifier leurs revenus. La migration est alors une forme d’adaptation, une réponse des populations aux nouvelles conditions climatiques. Ce phénomène est constaté notamment à travers des migrations saisonnières, entre les campagnes et les villes », explique François Gemenne.

Comment faire alors pour que les déplacements de populations soient non plus appréhendés comme un échec mais comme une stratégie d’adaptation ? C’est une des ambitions de l’Observatoire Hugo : apporter des éléments de réponse aux décideurs politiques et informer le débat public. Pour cela, l’équipe pourra s’appuyer sur de nombreux partenariats développés ces dernières années avec l’Organisation internationale pour les migrations, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés ou encore la Banque mondiale.

« S’il faut donner des informations aux décideurs, il faut aussi s’adresser aux simples citoyens, conclut François Gemenne. On le voit sur le terrain : les recherches de Pierre Ozer (faculté des Sciences), par exemple, montrent que des décisions personnelles sont prises en fonction des perceptions de l’environnement alors que la réalité peut être différente, voire opposée. Nous devons en tenir compte dans nos analyses et un effort doit être porté sur l’information des populations. »

La conférence Hugo donnera la parole à plusieurs orateurs de haut vol : citons notamment la présence de Barbara Harell-Bond (Oxford), de Saskia Sassen (Columbia), d’Éric Lambin (UCL, Stanford), de Richard Betts (Exeter) et de Bill McKibben (350.org).
L’occasion de rassembler la communauté de recherche qui travaille sur ces sujets et de faire le point sur l’état des connaissances juste avant la COP22 de Marrakech. Mais aussi de lancer l’Association scientifique internationale sur l’étude des migrations environnementales qui sera hébergée à l’ULg, avant de préparer un certificat d’études européen et une école d’été, à partir de 2019.

Conférence Hugo

Les 3, 4 et 5 novembre, à l’université de Liège et au Théâtre de Liège, place du 20-Août, 4000 Liège.

HulotNicolas

* informations et inscriptions sur www.events.ulg.ac.be/hugo-conference

Conférence de Nicolas Hulot

Le jeudi 3 novembre à 18h30, au Théâtre de Liège,
place du 20-Août 7, 4000 Liège.

GemenneFrancois

Entrée gratuite.

* informations et inscriptions sur www.events.ulg.ac.be/hugo-conference

Conférence de François Gemenne

François Gemenne donnera une conférence intitulée “L’Anthropocène et ses victimes : la question des réfugiés climatiques” dans le cadre des Grandes Conférences liégeoises, le 15 décembre à 20h au Palais des congrès, esplanade de l’Europe, 4020 Liège

Contacts : réservations, Office du tourisme, tél. 04.221.92.21, site www.gclg.be



Patricia Janssens
Portraits. Nicoals Hulot, Fondation Nicolas Hulot. François Gemenne, J.-L. Wertz.
Photo. René Job. Issue de "Turkanas. Les premiers derniers hommes."
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