Juin 2011 /205

Comment protéger le fruit le plus consommé au monde ?

banane1Qui ne connaît pas les bananes ? Mais qui sait que le célèbre fruit jaune est celui de tous les records et de toutes les singularités ? Ainsi le bananier – qui n’est pas un arbre mais une herbe géante  – est cultivé dans près de 120 pays répartis sur les cinq continents. Aujourd’hui, les bananeraies couvrent une superficie de 10 millions d’hectares (plus de trois fois la Belgique !). La banane est aussi le fruit le plus consommé et le plus exporté au monde. Par rapport aux autres biens alimentaires, elle arrive en quatrième position, en termes de production mondiale, derrière le riz, le blé et le maïs. Depuis les années 1960, le marché de la banane a explosé : les exportations ont été multipliées par 3.5, et leur valeur par 11. Ludivine Lassois, assistante à l’unité de phytopathologie de Gembloux Agro-Bio Tech, spécialiste des maladies tropicales, mène des recherches sur ce fruit qui fait vivre des millions de personnes en Amérique du Sud et en Afrique.

LassoisLudivineAlors que la banane compte plus de 1200 variétés, une seule d’entre elles est commercialisée à grande échelle : la Cavendish. « Cela s’explique facilement, énonce Ludivine Lassois, car la Cavendish pousse vite, très vite. Neuf mois, à peine, s’écoulent entre la plantation et la première récolte. De plus, cette variété est “naine”, dépassant rarement trois mètres de hauteur, ce qui facilite grandement sa récolte, qu’elle soit manuelle ou mécanisée. » Et qui permet, en outre, de pousser à l’extrême la standardisation de la filière tout entière : depuis le format des caisses où sont rangés les fruits fraîchement cueillis jusqu’aux halls de mûrissement installés en Europe (à Ternat et à Anvers notamment), en passant par la taille des conteneurs maritimes. Tout est calculé au centimètre et à la minute près.

Cette homogénéité de la culture de la banane d’exportation a toutefois un coût énorme sur le plan social et environnemental. La bananeraie Cavendish doit être saine. Elle doit résister aux multiples agresseurs tels que les vers microscopiques (nématodes), les insectes (comme le charançon, un coléoptère aux larves redoutables pour la plante) et, surtout, les multiples champignons qui se développent avant ou après les récoltes. Si une maladie venait à s’installer dans les plantations de Cavendish, c’est tout le marché de “l’or jaune” qui s’effondrerait : une catastrophe pour de grandes entreprises américaines, mais aussi pour des pans entiers des économies africaines et sud-américaines (l’Equateur, le Costa Rica et la Colombie représentent, à eux seuls, 65 % du marché international).

Des fruits moins parfaits mais plus sains

Depuis le “boom” de la banane d’exportation – qui ne fait pourtant que 10 à 12 % de l’ensemble des bananes consommées à travers le monde –, les producteurs ont misé intensivement sur le recours aux produits phytopharmaceutiques : insecticides, herbicides, fongicides, etc. Malgré le succès de la banane bio et diverses initiatives destinées à limiter le recours aux pesticides, le modèle de la culture bananière reste celui de la monoculture intensive de type agro-industriel. « Dans ce modèle, il n’y a pas de rotation de cultures, constate Ludivine Lassois. Pendant 30, voire 40 ans, on cultive la même chose au même endroit. Bien souvent, la culture n’est pas adaptée à l’hydrographie, aux conditions pédologiques ou au climat local. La plante est dès lors très fragilisée et l’emploi de produits de synthèse, inévitable. »


banane4Partout dans le monde, des efforts ont été réalisés pour diminuer l’utilisation de ces produits, car ils sont réputés tuer la faune sans discernement, s’accumuler au sein des chaînes trophiques et, peut-être, contaminer l’homme. Par ailleurs, on constate divers phénomènes de résistance aux pesticides chez les ravageurs. « Il n’y a pas de recette miracle, estime Ludivine Lassois, la totalité de l’itinéraire technique de la plante doit être revu : il faut mieux connaître son agronomie, mais aussi la biologie des parasites et les relations entre les “hôtes” (les fruits) et les pathogènes (insectes, champignons, etc.). »

Responsable également d’un programme de recherche au Centre de transit international de Biodiversity International (voir encart), Ludivine Lassois s’intéresse tout particulièrement aux maladies qui entraînent le pourrissement de la couronne, c’est-à-dire le tissu ligneux qui relie la base des fruits entre eux. Généralement invisibles lors de la récolte, les symptômes des attaques de champignons nuisibles se manifestent le plus souvent sous la forme de zones brunes et noires qui gagnent le pédicelle (partie de la queue d’une fleur, juste sous celle-ci) des fruits. Des cargaisons entières de bananes jugées impropres à la consommation sont jetées aux rebuts. Lorsque les fruits sont traités chimiquement, les pertes liées à ces ravageurs concernent environ 10 % des cargaisons importées ; dans le cas de bananes non traitées, cette proportion peut grimper jusqu’à 86 % !

Menés au Cameroun et en Guadeloupe, les travaux de Ludivine Lassois ont permis d’éclairer l’impact de la physiologie du fruit au moment de la récolte sur le développement ultérieur des pathologies fongiques. « Nous avons concentré nos efforts sur l’évaluation de deux facteurs préalables à la récolte, explique la chercheuse. La position de la main sur le régime et le rapport entre les feuilles et les fruits du bananier. » Résultat ? Ces deux facteurs influencent manifestement la sensibilité du fruit à la maladie. « Ainsi, les mains qui poussent en premier lieu sont plus fragiles que les dernières mains apparues sur le régime. Lorsqu’on procède à l’ablation de celles-ci, les fruits restants sont à la fois plus volumineux et plus résistants aux pathogènes. » Tout bénéfice pour la récolte.

Ludivine Lassois a également contribué à la mise au point pratique de moyens de lutte intégrée permettant la réduction de l’utilisation des produits chimiques dans les bananeraies. « Nous avons testé deux levures naturelles (Pichia anomala souche K et Candida oleophila souche O) qui, dans les années 1990, avaient déjà donné des résultats intéressants sur les pommes. Nous avons démontré que ces levures permettaient de limiter la maladie causée par les champignons après la récolte, pour autant que les cultures se soient épanouies dans un environnement favorable. Si, à l’inverse, la plante est fragilisée à cause d’un manque d’irrigation ou d’insolation, voire d’un mauvais sol, et ne peut dans ce cas développer ses propres mécanismes de défense, l’application de levures naturelles en remplacement des produits chimiques est insuffisante pour contrôler la maladie. »

banane3Les firmes agro-industrielles ont trouvé ces résultats encourageants mais insuffisants. En effet, si les produits chimiques permettent d’obtenir des couronnes parfaitement nettes et indemnes de toute nécrose, les levures, elles, les limitent mais ne les inhibent pas. Bien que les fruits soient parfaitement propres à la consommation, les industriels préfèrent les sacrifier et les jeter car ils ne correspondent pas aux critères des consommateurs, lesquels exigent un fruit parfait sur le plan visuel. Quitte à ce que celui-ci contienne des résidus de pesticides en quantités non négligeables et à ce que la culture ait causé des dommages à l’environnement…

Le consommateur au pouvoir ?

« Les temps ne sont-ils pas mûrs pour sensibiliser le consommateur de fruits – et singulièrement de bananes – sur les conséquences de son choix ?, interroge la chercheuse. N’est-il pas prêt, dans le cadre d’une agriculture plus soutenable, à acheter une banane moins “parfaitement standardisée” ? D’autant plus qu’en combinant l’usage des levures à d’autres techniques de lutte, il est possible de renforcer l’efficacité du traitement biologique, tant après qu’avant la récolte. » Un tel changement des pratiques agricoles aurait au moins l’avantage de constituer une alternative sérieuse aux pratiques de boycott des bananes issues des grandes plantations. Celles-ci sont parfois considérées comme des “fruits maudits” par les franges les plus radicales de la mouvance écologiste. Or la culture de la banane, ne l’oublions pas, fait vivre des millions de familles en Amérique du Sud et dans les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), dont c’est l’unique source de revenus.

Philippe Lamotte

Article complet sur le site www.reflexions.be (rubrique Vivant/botanique)

Indispensable travail d’assainissement

La plus grande collection de bananiers au monde se trouve à Louvain, à la KUL dans le Centre de transit international (ITC) de Bioversity International placé sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). Inaugurée en 1985, cette collection abrite près de 1200 variétés de bananier et conserve ainsi des échantillons à l’abri des maladies tropicales. Plantes essentiellement stériles, les bananiers doivent être conservés en éprouvette sous la forme de plantules obtenues par reproduction végétative. Pour ralentir leur croissance, ils sont alimentés par une diète spéciale et placés dans un milieu froid et faiblement éclairé.
Dès qu’une nouvelle variété est découverte dans le monde, elle est envoyée dans le centre louvaniste afin de garantir sa conservation et la protection de son génome. Toutefois, avant de parvenir à Louvain, il est nécessaire de vérifier si le bananier est indemne de toute virose et, éventuellement, de l’assainir (par exemple par thermo ou chimio-thérapie). C’est le rôle joué par l’unité de phytopathologie de Gemboux Agro-Bio Tech.
Après assainissement et mise en culture, le matériel de Louvain, non brevetable, est mis à la disposition des pouvoirs publics et de cultivateurs locaux. A l’heure actuelle, l’ITC a fourni environ 15 000 plantules saines à 335 régions, dans une centaine de pays.

 

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